L’immersion en retour

Publié le 10 juillet 2007 par Gregory71

“Second life” et la “Wii” signent le grand retour de l’idéologie immersive des années 80 qui était tombée en discrédit voilà une quinzaine d’années à force d’emphase, de promesses non tenues, de révolutions annoncées. Il y a 20 ans une technologie, la réalité virtuelle, focalisait les fantasmes technologiques, cet étrange mélange entre la psyché et les formes instrumentales. Chaque semaine un nouveau livre, une nouvelle conférence, une nouvelle oeuvre promettait une immersion sans faille, une perte des limites de l’image, un effondrement de l’écran et la réalisation, enfin, du destin des images et de l’art. Tout se passait comme si l’art n’avait jamais été qu’à la moitié de ce qu’il devait être et qu’à présent grâce aux visiocasques, aux datagloves et aux exosquelettes, nous pouvions enfin entrer dedans comme dans un monde certes nouveau mais familier (Matrix et Alice aux pays des merveilles). Non plus ce simulacre que nous savons faux, non plus cette distance face à un objet, non plus le paradoxe du sens intime nous faisant ressentir notre perception comme une désadhérence de soi à soi, mais le simulacre devenu réel, sans possibilité de distinction avec ce qui avait été la “vraie réalité”.

L’immersion est un concept complexe qui loin de signifier une technologie particulière ou un conglomérat technologique déterminé, est le symptôme d’un dépassement métaphysique. Car derrière le discours de l’immersion il y a la réactivation des désirs métaphysiques les plus classiques, les plus absolus, jusqu’à la caricature. Il y a aussi un étrange retournement platonicien de l’image. On connaît fort bien la critique de ces images de l’art sur lesquelles l’oiseau vient se casser le bec prenant pour vraie une grappe de raisins factice. L’immersion promettait un dépassement du simulacre par l’indistinction. L’oiseau viendrait se délecter du nectar, force retour, odorat, vision, tous les sens auraient été interpellés.

Nous avons très précisément déconstruit ce discours technologique, cette haine de l’art souhaitant réaliser totalement l’art (c’est-à-dire cherchant à briser sa finitude structurelle). Il est à présent étonnant de voir certains revenir avec joie à cette idéologie. “Second Life” et son monde plus grand, plus peuplé, plus économique, plus efficace que le monde que nous cotoyons quotidiennement. La “Wii” et son interface interpellant enfin le corps, nous qui étions des handicapés immobilisés devant des consoles de jeu. Et ceux qui brandissent la menace et la critique face à ces produits ressemblent étrangement à ceux qui tendent la promesse. Ils fonctionnent tous deux au désir de dépassement métaphysique, au désir d’un au-delà de la perception, d’un en-deça du monde, réversibilité de la conjuration et de l’enthousiasme. Or il suffit d’expérimenter ces deux technologies non pour être décu mais pour être confronté à une toute autre expérience, expérience de l’ennui, de la limite, de la flânerie sans but, de l’anonymat sensible, etc.

Il n’est pas lieu ici de décomposer l’ambivalence de ces discours, tout à la fois naissance et mise à mort, mise en scène pour une naissance d’un monde nouveau (Wagner). Il y a seulement à remarquer que si une branche des arts (technologiques) prônent l’immersion, l’oeuvre totale avec une naïveté étonnante, une autre branche s’introduit dans la quotidienneté la plus banale, reconnait la défaillance technologique, sa fragilité comme une de ses ressources les plus sensibles, les plus proches et distantes du sujet qui perçoit. Il y aura donc encore et encore à déconstruire ces spectres technologiques. Et à s’en amuser comme devant un jeu d’araignées dans le fond d’une soupe. En y plongeant le regard savoir combien ces discours sont une camera obscura de l’esthétique, refoulement qui en inversant l’existence continu à en être le signe. S’agit-il d’élaborer une symptômatologie des technologies pour être à même de penser l’articulation entre le fantasme, l’instrumentalité, la matière et la forme?