Plaisirs enfantins avec Zhu Xiao-Mei

Publié le 05 décembre 2011 par Arty

RECITAL
L’association Animation musicale à l’université de Rouen propose un récital avec la pianiste Zhu Xiao-Mei, mardi soir à la faculté des Lettres de Mont-Saint-Aignan. Née en 1949 à Shanghaï et installée en France depuis plus de vingt ans, elle enseigne au Conservatoire national supérieur de musique de Paris. Zhu Xiao-Mei partage son temps entre ses activités pédagogiques et de nombreux concerts donnés en France et à l’étranger.
Son initiation musicale commence très tôt, elle entre à l’Ecole nationale de musique pour enfants surdoués à 10 ans. La Révolution culturelle interrompt ses brillantes études et elle est envoyée dans un camp de travail à la frontière avec la Mongolie. Ses origines la rende suspecte aux yeux du nou
veau pouvoir. Zhu Xiao-Mei doit alors faire doublement ses preuves. Elle entre dans ce jeu très jeune modifiant sa manière de penser et se pliant notamment aux séances de dénonciation publique. Elle va même jusqu’à délaisser sa famille puisque l’idéologie de Mao l’impose. Dans son autobiographie La Rivière et son secret (Robert Laffont), elle raconte son expérience sur le travail aux champs imposé par le régime communiste et le conditionnement psychologique des Chinois durant la Révolution culturelle. Grâce à certaines complicités, elle réussit à travailler le piano en cachette. Et la musique qu’elle aime tant la sauve. Elle achèvera ses études au conservatoire en rentrant à Pékin. En 1979, elle quitte la Chine pour les Etats-Unis où elle obtient les plus hautes distinctions et donne de nombreux concerts. En 1985, Zhu Xiao-Mei arrive à Paris et choisit de s’y fixer.
Mardi soir, la pianiste va interpréter des oeuvres de Mozart, Schumann et Schubert.
Pourquoi ce programme associant Mozart, Schumann et Schubert ?
Zhu Xiao-Mei: « C’est un programme qui, pour moi, tourne autour de deux moments essentiels de notre vie, son commencement et sa fin, l’enfance et la mort. L’enfance avec les Variations sur « Ah ! vous dirai-je, maman » de Mozart et les Scènes d’enfants de Schumann. La mort avec la dernière sonate de Schubert ».
Qu’aimez-vous dans la musique de Mozart ?

Zhu Xiao-Mei: « La liberté, le bonheur et la joie de vivre, le mépris des conventions, la force de la vie. Mozart était un homme qui aimait follement la vie et adorait s’amuser. On ne devait pas s’ennuyer en sa compagnie et être de ses amis devait être extrêmement drôle. Il avait un côté fantasque, dans lequel, au fond, je me retrouve. C’est évident dans une œuvre comme les Variations sur « Ah ! vous dirai-je, maman » Mais cette liberté ne serait rien sans la profondeur que l’on trouve derrière chaque note de sa musique, dans les dialogues entre les voix, dans les jeux de clair-obscur, comme dans la Fantaisie en ut mineur ou l’Adagio en si mineur».Les deux œuvres qui ouvrent votre programme.
Zhu Xiao-Mei: « Oui, des œuvres finalement peu jouées et que j’ai vraiment envie de faire mieux connaître. La Fantaisie en ut mineur a été initialement écrite pour piano et violon. Elle a un côté extrêmement « orchestral ». L’Adagio en si mineur est une œuvre beaucoup plus intimiste ».Comment voyez-vous le rapport de Mozart à l’enfance ?
Zhu Xiao-Mei: « La liberté de Mozart confère à sa musique un côté enfantin. Sa profondeur est celle d’un enfant qui a tout connu. Au fond, son parcours m’évoque la phrase de Lao-tseu : Celui qui possède en lui la plénitude la vertu est comme l’enfant nouveau-né ».
Avec Schumann et ses Scènes d’enfants, nous sommes dans un univers bien différent.
Zhu Xiao-Mei: « Oui, c’est une œuvre très intérieure. En envoyant le recueil à Clara, Schumann lui a écrit : Il te faudra oublier que tu es une virtuose. Les sentiments qu’expriment les Scènes d’enfants sont mêlés, contradictoires. C’est ce qui en fait un chef-d’œuvre. C’est en écoutant La Rêverie, toute petite, que j’ai eu envie de devenir pianiste. C’est une œuvre qui m’accompagne depuis toujours. Schumann, dans cette pièce, n’est jamais « enfantin » au premier degré. Il capte avec une force de pénétration incroyable des sentiments essentiels de l’enfance : la curiosité, la peur, l’impatience, le bonheur, la mélancolie... Il nous montre un enfant tour à tour joueur, suppliant, rêveur. Il nous fait toucher du doigt avec une poésie rare cette lumière que, dans leur innocence, les enfants dégagent et qu’ils perdent ensuite rapidement, une fois devenus grands ».
A-t-il pour autant envie de revenir en enfance ?
Zhu Xiao-Mei: « Je n’en suis pas sûr. Pour partie oui, pour partie, non. Schumann disait des Scènes d’enfants qu’elles étaient des « regards jetés en arrière par un homme qui prend de l’âge, et pour des hommes de son âge » Plus le temps passe, mieux on comprend cette œuvre, je pense. Au fond, en nous parlant de l’enfance qui ne reviendra plus, Schumann nous parle aussi de la mort. L’enfance, la mort, ce sont vraiment les deux versants de notre vie, deux aspects de la même réalité ».
Il reste moins de deux mois à vivre à Schubert lorsqu’il achève sa Sonate en si bémol majeur.
Zhu Xiao-Mei: « Oui, c’est passionnant d’aller voir ce qu’un génie comme Schubert nous dit au seuil de la mort. Il est malade et manque d’argent. A-t-il le pressentiment de sa disparition ? On ne le sait. Toujours est-il qu’il compose en cette fin 1828 des chefs-d’œuvre incroyables. Notamment cette dernière sonate pour piano et le Quintette pour deux violoncelles, qui sont pour moi deux des plus belles œuvres qui parlent de la mort ».
Quelle est à votre sens l’attitude de Schubert face à la mort ?
Zhu Xiao-Mei: « Face à la mort, je le trouve résigné et contemplatif à la fois. C’est pour moi très clair dans les deux premiers mouvements de la Sonate en si bémol majeur. Le deuxième mouvement de cette sonate nous emmène dans un ailleurs où seul Schubert est capable de nous conduire. Il est dans une tonalité do dièse mineur qui est à l’opposé du si bémol majeur des trois autres mouvements. C’est un mouvement extrêmement méditatif et douloureux Je ne pense pas que Schubert soit serein face à la mort. La musique de ces deux premiers mouvements est traversée de passages mystérieux et de moments de révolte. La mort est un arrachement pour Schubert. Il n’a que 31 ans quand il quitte cette terre. Il a encore tellement à dire »
Que dire des deux derniers mouvements de cette Sonate en si bémol majeur ?
Zhu Xiao-Mei: « Leur atmosphère est complètement différente, beaucoup plus lumineuse. Ils ont un caractère ludique, voire joyeux, même s’ils sont traversés de moments d’angoisse ou de révolte, comme le Trio du Scherzo ou les passages fortissimos du final précédés chaque fois de deux mesures de silence angoissantes »
L’attitude de Schubert face à la mort n’est-elle pas à l’opposé de celle de Mozart ?
Zhu Xiao-Mei: « C’est possible. Avec le temps, j’en suis venue à penser que la mort n’effrayait pas Mozart et même qu’il s’en moquait. Il est éternellement jeune et totalement libre devant elle. Schumann va mourir dans l’angoisse et la folie, Schubert dans le déchirement ».
Récital
Zhu Xiao-Mei, mardi 6 décembre, 20 h 30, amphithéâtre José-Axelrad, Faculté des Lettres, Mont-Saint-Aignan. Entrées: 8, 22 et 25 €.