Il y a une double tendance dans les discussions actuelles sur la notion d’écran, notion qui reste floue malgré fait que les objets auxquels elle se réfère nous entoure de part en part. Cette double tendance, que nous ne voudrions pas présenter telle une dialectique réductrice, est d’une part l’expérience esthétique de la limite, entendez du cadre, et d’autre part le désir fantasmatique de l’immersion, entendez de la perte de cadre.
Ce désir d’immersion trouve des symptômes dans la réactivation du projet de la réalité virtuelle depuis quelques mois et dans l’avenir projeté du livre comme écran souple à disposition de la main. Il y a sans doute là le désir de quitter le cadre, de rentrer enfin dans l’image, de s’y perdre, de s’y immerger. Nous ne souhaitons pas dénoncer cette passion délétère, puisque le simulacre est originaire, mais simplement en pointer la puissance idéologique.
L’expérience que nous avons de l’écran, que celui-ci soit cinématographique, télévisuel ou informatique, et il faudrait là sans doute prendre le temps d’en définir les différences entre ces différents écrans, n’est pas une immersion mais bien au contraire l’oubli actif du cadre. En d’autres termes lorsque nous sommes dans une salle de cinéma nous savons bel et bien qu’il y a un cadre, l’existence consciente de ce cadre permet de développer le langage du hors-champ, etc. Et sachant ce cadre nous l’oublions l’espace d’un instant ou plus exactement nous nous disons que nous étions dans l’image il y a quelques secondes sans jamais parvenir à faire se correspondre le moment de cette intellection et l’instant (imaginaire) de cette perception. Bref, la preuve fait toujours défaut et ceci pour la simple raison que cet oubli actif (c’est-à-dire un oubli qui se signale comme oubli, un oubli qui lui-même ne s’oublie pas) est la structure même de la perception, une différence de soi à soi qui permet et la perception et la conscience de la perception, elle-même perçue, et ainsi de suite. Cette différence qui hante l’identité structure le devenir lui-même.
Dans le désir d’immersion et dans les tentatives de faire écran à l’écran en en débordant le cadre, il y a peut être un avenir des dispositifs esthétiques, mais il y a aussi une incompréhension profonde du rôle positif de la finitude esthétique, c’est-à-dire que le cadre même de la perception qui n’est que perception locale, propre à un devenir, à une existence, etc. est ce justement par quoi nous percevons. Il y a dès lors à imaginer des modes plus subtiles de continuité et de discontinuité dans le cadre et hors du cadre de l’écran. Comment une image dans l’écran vient parfois en sortir, tracer sur le corps des signes, pour revenir dans sa réserve?