Cela fait déjà longtemps que la destruction est devenue une image. Peut-être depuis les images des Alliés à l’ouverture des camps, tas de cadavres anonymes, restes, vêtements, lunettes, corps au bord du mourant. Cela fait un certain temps que la destruction est devenue une image trop parfaite, comme orchestrée. Depuis le 11 septembre peut-être et la série de ses événements, enchaînement implacable comme mis en scène par un réalisateur diabolique. Corps sautant dans la vide, fumée, écroulement. Poussière. En nuage.
La destruction est l’événement d’une séparation, souvent irrémédiable, entre la forme et la matière. Cette dernière n’est plus instrumentalisée par la première, elle perd sa cohérence, son utilité. Elle reste donc là, gravas, corps, débris de métaux. Il n’y a plus qu’à jeter. Et plus il y a d’images de destruction, plus nous sommes anesthésiés. Il n’y a plus cette distance de Guernica, de cette image répétée et exhibant son point de vue transformant l’objectivité de l’événement, cheval hurlant plus hurlant que les corps calcinés, lumière plus fluorescente que le scintillement des bombardements. Nous en avons fini avec ce monde. Il nous reste des images prises sur le vif, toujours présente, immédiatement disponibles. Et plus rien de se passe dans le monde.
Répéter donc la destruction et la disloquer à son tour, changer le lieu même de la destruction. Rendre la destruction si visuelle, si parfaite, si séduisante, si simple et minimale, la rendre si disponible dans ses formes, éviter les débris trop petits, trop incertains, préférer les brisûres franches et lisses, enlever la poussière, poncer, jouer du reflet narcissique de cette forme sur son socle même, la reposer sur un socle d’une couleur négative, associer ce volume à une autre image, inverser encore les couleurs de la forme et du fond. Donnerà l’image une autre perfection, multiplier ici les détails mais sans défaut, jouer de quelques reflets de matière, simuler l’objet en train de se détruire. L’amener à une lenteur si extrême qu’il ne reste plus que les états de la destruction et non plus la destruction elle-même. Oublier pour se souvenir.