Implosion

Publié le 28 juillet 2007 par Gregory71

Il était simplement triste de l’avoir perdu et de ne pas avoir pu mener leur amour jusqu’à son terme. En murmurant seul cette idée il la savait absurde car qu’est-ce que cela aurait pu bien signifier que le terme de l’amour? Il reconnaissait la mélancolie de cette phrase et de son désir: aller jusqu’au bout d’une histoire. Étrangement toute conclusion à l’amour en suspendait la fin. C’était donc impossible, quelque soit la configuration adoptée.

Depuis des années un sentiment d’inachèvement le hantait. Une autre femme lui avait volé cet amour sans peut-être même savoir ce qu’elle avait fait, sans reconnaître son influence qu’elle avait secrètement désirée. Cette autre femme il l’avait aimé, mais d’un amour qui avait été simplement l’attente d’un autre amour, à défaut de, et une fois qu’il avait été quitté il avait été soulagé que la jalousie, la névrose, le narcissisme, le manque de confiance en soi mis en scène par soi, s’en aille avec elle. Il s’était réfugié auprès d’une autre femme, amie de la première, en y cherchant sans doute la proximité d’une amitié et d’une complicité.

Il y eu l’éclat de la reconnaissance et puis la surprise des corps. Peau rencontrée comme jamais. Paroles échangées. Souffrance d’enfance véritable. Soutenir l’autre qui vous porte. Marcher de ce déséquilibre à deux, de cette respiration. Chaque jour quelque chose se passait avec elle. Il savait que c’était elle. Il l’avait reconnu. Il se disait: nous nous sommes croisés lorsque nous étions enfants dans la rue, nos regards se sont échangés, nous nous sommes déjà reconnus il y a des années. Il essayait de se souvenir de ce moment qui n’avait sans doute jamais existé. Mais il trouvait que cet événement imaginaire était l’hypothèse la plus proche d’une réalité qui lui échappait.

Il n’avait pu mener leur amour jusqu’à son terme. Il savait cette pensée absurde car qu’est-ce que cela aurait pu bien signifier que le terme de l’amour? Il y a eu plusieurs autres histoires avec elle. Des abandons et des retrouvailles. À chaque fois il pensait à son corps, pas comme un objet, pas comme une persone, pas comme un secret, mais comme un devenir. Il sentait encore ses mouvements, le corps et le mouvement, les deux, inséparables. Et le mouvement tout le temps. Et le corps. Il entendait son souffle, alterné. Et ses cris. Son regard perdu dans le sien. La bouche entreouverte où l’air s’engouffre. Les jambes qui se referment.

Une terrasse sur le boulevard du Montparnasse. On y vendait des hot-dogs. Il faisait encore un peu froid. Quel mois? Peut-être mars. Elle se blotissait dans son manteau et tenait en tremblant une cigarette consumée à moitié dont la cendre pourtant restait entière. Ils ont échangés très peu de paroles, aucune je crois, mais ils ont souris se sachant proche. Ce n’était pas parce qu’ils pensaient ou ressentaient la même chose. Comment savoir une telle chose de quelqu’un? Mais c’était simplement qu’ils se sentaient l’un l’autre dans le froid et la clarté. Ils savaient ce moment unique. Chaque moment était unique, tout comme eux partageaient ce moment sans avoir aucune idée de ce qu’était l’autre (tout autant moi qu’elle), de ce qu’il pensait (elle comme moi), de ce qu’il sentait. Et les passants défilaient dans la rue. Certains avaient sans doute cette proximité anonyme: être le plus proche de ce qui est lointain, un lointain dont on ne peut, dont on ne veut se rapprocher. À ce moment là il savait qui elle était.