Il observait les écrivains anciens avec amusement. Il en restait encore quelqu’uns sur le réseau qui ajoutaient des phrases à d’autres phrases, sans comprendre que cette agglutination n’avait plus de sens depuis des décennies. Il n’entendait que le bruit et la surcharge que ces ajouts provoquaient.
Une nouvelle phrase et donc de nouveaux mots-clés, de nouveaux liens, de nouveaux référencements. Encore et toujours du travail après l’écriture. Un mot écrit équivalait à d’autres mots pour que ce premier existe (c’est-à-dire soit accessible). Quand est-ce que tout cela s’arrêterait? Peut-être avait-il lui aussi un certain talent d’écriture mais il ne souhaitait pas le vérifier, puisqu’écrire était du passé.
Il voyait déjà tant de mots écrits. Etait-il nécessaire d’en ajouter encore? Le travail de lecture était quant à lui infini et il fallait compter avec tous les recoupements possibles entre les textes parcourus. Il fallait un temps infini pour vérifier que les mots qu’on souhaitait écrire n’existent pas déjà sur le réseau. Quelle inconscience fallait-il alors avoir pour écrire encore!
Il restait des heures à fureter. Cherchant la phrase rare, l’index juste, le logiciel facilitant sa recherche, d’autres qui cherchaient la même chose. Certains disaient qu’il perdait son temps de façon déraisonnable. Lui y voyait la fin de l’expression, le deuil insensible de soi, le souci de ce qui est déjà là. Bref la prise de conscience méticuleuse de la présence des autres, de ces mots déjà écrits par d’autres depuis des siècles. Il cherchait toujours un recoupement, un angle décisif et inexploré et il l’envoyait alors sur le réseau sans savoir si quelqu’un le lirait, si une personne référencerait son travail, il pouvait contrôler cela de son poste de travail en recoupant encore et encore les liens. Il était simplement un transmetteur de tout ce qui existait déjà.