De la germanophobie à la phobie de la responsabilité.

Publié le 05 décembre 2011 par Unmondelibre

Emmanuel Martin - Le 5 décembre 2011. Angela Merkel s’est pour le moment montrée inflexible sur la monétisation des dettes souveraines de l’Euroland par la BCE ainsi que sur la création d’eurobonds. Elle a par ailleurs proposé une solidarité « sous conditions » à l’égard des pays-cigales. En France ce discours est très mal perçu par une bonne partie de l’intelligentsia, des politiques et des médias. Et pourtant…
Casques à pointe
Fin novembre c’était le député PS Jean-Marie Le Guen qui comparait Nicolas Sarkozy à Édouard Daladier allant négocier avec Hitler à Munich en 1938. Le 1er décembre Arnaud de Montebourg comparait, lui, Madame Merkel à Bismark en matière de politique européenne. Le 2 décembre les Guignols de l’info dépeignaient le discours de Toulon comme celui de… la chancelière allemande lançant aux français un « Arbeit ! » à une tribune ornée des faisceaux de verges entourant la hache, symbole du fascisme. Casques à pointe, fascisme, « Arbeit (macht frei) », toutes ces références au passé souvent peu glorieux de l’Allemagne sont en réalité du plus mauvais goût.
D’abord, les français sont sans doute fiers de leur modèle, mais force est de constater qu’il est un tantinet moins efficace que le modèle allemand. Bien sûr notre niveau d’endettement public est sensiblement le même. Mais il y a ceux, outre-Rhin, qui s’endettent pour construire l’avenir – en tâchant de réparer le passé (avec la réunification) – et ceux, nous, qui s’endettent pour consommer sur le dos des générations à venir. Il y a ceux qui ont une économie florissante, moteur de technologies exportatrices, et il y a nous, avec nos Rafales par exemple. Il y a ceux, outre-Rhin, qui ont 47% du PIB en dépenses publiques (et qui ne paient pas de péages autoroutiers) et il y a nous, avec 56% - pour faire quoi ? Comme nous le rappelait Coluche, si les français ont choisi le coq comme emblème, c’est sans doute parce que c’est le seul animal à chanter les pieds dans la m…
Principes ou pragmatisme ?
Si les Allemands ont des « principes », c’est parce qu’ils reviennent de loin justement, - de loin quand on s’aventure sur la route du « pragmatisme » et du rejet de toute « satanée orthodoxie ». Dans son discours de Toulon M. Sarkozy a eu cette petite pique à l'égard de la démocratie bavarde, pour venter le modèle « dirigiste » des institutions française paraît-il supérieur en cas de crise : ne pas s’embarrasser de démocratie ! Oui, Angela Merkel, elle, est redevable devant un Parlement. Suprême obstacle à la volonté du politique pour un homme d’État français... Mais en Allemagne le nazisme est passé par là. Et par ailleurs quand il s’agit de distribuer l’argent du contribuable, il paraît utile et juste aux Allemands que la démocratie ait son mot à dire. Dans la France dirigiste, ce réflexe est nettement moins automatique puisque le contribuable y est vu comme un vache à lait qui n’a pas son mot à dire sur l’évolution et la structure de la dépense publique. Depuis Colbert, on y sait que « l’art est de plumer l’oie sans qu’elle criaille ».
On pourra bien sûr reprocher à l’Allemagne d’être justement anti-démocratique lorsqu’il s’agit de laisser décider les grecs de leur avenir. A ceci près, que les allemands ont mis la main au porte monnaie avant pour la soi-disant « solidarité » (au passage cet épisode permet de saisir à quel point le mot a totalement perdu sons sens profond dans le discours politique aujourd’hui : il signifie désormais « assistance aux irresponsables »). A ceci près encore que la volonté soudainement démocratique de référendum de M. Papandréou est intervenue après un an et demi de sauvetages… D’ailleurs, de ce point de vue, si les Allemands demandent un contrôle européen des budgets nationaux, ce n’est pas « contre la démocratie », c’est aussi pour éviter ce qui s’est exactement passé en Grèce ou en Italie : lorsque les politiciens locaux décident avec l’argent des autres, ils ont curieusement tendance a être davantage laxistes. Il est quand même difficile de prétendre vouloir le beurre et l’argent du beurre. Cette mesure de contrôle budgétaire ex ante peut même alors paraître comme une saine mesure d’encadrement constitutionnel de la démocratie, dans le contexte de cette redistribution intra-européenne, le financement des budgets n'étant plus uniquement national. Un garde-fou constitutionnel, ce n'est pas du « dirigisme ».
En matière monétaire, idem. Les Allemands ont connu Weimar et l’hyper-inflation. Là encore, ils ont appris. Hyper-inflation = montée du nazisme = deuxième guerre mondiale. On l’a sans doute oublié de ce côté-ci du Rhin. Ainsi, pour eux, la monnaie a une dimension essentielle : on ne peut pas la manipuler sans en subir les conséquences. En France, toujours dans la tradition dirigiste, la monnaie est vue comme un instrument du pouvoir, comme une illustration du fait que la politique serait « l’art du possible ». D’où l’incompréhension française devant le soi-disant « diktat » allemand en matière monétaire.
Au-delà de la germanophobie, c’est bien la phobie d’un discours de responsabilité dont souffre la France. Il faut dire qu’avec des intellectuels ( ?) du niveau d’un Emmanuel Todd qui préconise tout bonnement d’effacer l’ardoise de notre dette (c’est si facile ! Y’a qu’à !), ou des politiciens comme M. Sarkozy dont le pragmatisme le mène à dire tout et son contraire, les français ont du mal à trouver de l’inspiration du côté des idées de la responsabilité…
Emmanuel Martin est analyste sur www.UnMondeLibre.org.