Le champ de l’art contemporain semble parfois être fort académique. Il y a dans de nombreuses travaux des formes récurrentes et pour ainsi dire des clichés. On pourrait dresser la typologie des lieux communs: photographies d’un quotidien pseudo-trash, dessins à la ligne des années 70, proto-design inutile, performance mettant à l’épreuve tout autant le public que le performer, références japonisantes, etc. Comment dès lors déconstruire ces pratiques sans tomber dans une critique réactionnaire souhaitant réactiver une prétendue expression de l’artiste? Nous savons en effet que la répétition des clichés culturels est un des axes des pratiques artistiques. Nous savons aussi que la décomposition et la recomposition du passé historique de l’art est un des moteurs de la production contemporaine. Nous savons que prôner une prétendue originalité de l’oeuvre d’art est aussi ridicule que de relayer les clichés.
Si on peut éviter d’utiliser l’originalité comme critère esthétique, car avoir été le premier à faire ceci ou cela ne peut jamais constituer un argument artistique, peut-être peut-on faire référence au concept simondonien d’individuation pour analyser la genèse esthétique des oeuvres. L’individuation ne fait pas référence à un ego constitué et donc dans le champ artistique à l’expression d’un moi, mais à son devenir, à la façon dont un individu ne cesse jamais de s’individuer. De sorte que les références intérieures à la culture populaire ne sont pas simplement des clichés, elles sont constitutives de cette individuation, chacun étant formé par cette culture. Toutefois une chose est de relayer par opportuniste ces clichés, une autre est de les activer, de les déplacer, ou de les répéter selon un mode si radical que la répétition elle-même clive le cliché de lui-même. L’opportuniste est un Zeitgeist passif, utilisant telles technologies par simple attrait de la nouveauté, tels matériaux parce que c’est dans l’air du temps. Dans le champ de l’art contemporain, il y a un “cahier de tendances” implicite. L’impact sur le présent sera à la hauteur de la vitesse d’oubli de tels travaux.
C’est pourquoi on ne peut faire référence à une expression comme étant la sortie hors de soi du soi. Ce serait supposer que le soi est constitué et stable. Il est toujours au-dehors car toujours en constitution, toujours modifié, interféré par les phénomènes et par la perception de ceux-ci. La production contemporaine peut donc bien relayer les clichés populaires, par contre il est beaucoup plus contestable de relayer des clichés du monde de l’art. L’ironie semble être devenue un mot d’ordre, alors même qu’elle devrait être transgressive et déconstruire jusqu’à sa transgression. Il y faut toujours de l’humour, un clin d’oeil, jouer de ce monde de l’art. Nous connaissons bien ce phénomène décrit par l’école de Francfort comme la réification de la culture qui se prenant pour son propre objet n’est plus qu’un symptôme passif de ses pouvoirs. Ou encore l’autonomisation du monde de l’art. Il s’agit de délaisser les pouvoirs pour activer les puissances, ce qui reste encore en réserve.
Il n’est donc pas absurde d’allier la répétition des clichés avec, non pas l’identité, non pas l’artiste, non pas l’ego, mais la singularité. Celle-ci doit être comprise comme l’individuation qui a de l’anonyme car elle est du dedans et du dehors, l’épiderme même du vivant qui fait de l’organisme quelque chose qui ne cesse d’aller d’une polarité à une autre. Le cliché peut être bel et bien un élément d’individuation et Andy Warhol reste, dans l’époque qui a été la sienne et qu’on ne saurait répéter si ce n’est à tomber dans le cliché du monde de l’art, une manière du cliché et de l’individuation indifférente (tout et tout le monde lui plaisait, le “Et alors?” warholien comme apathie du sens intime).