La croissance économique du Pérou est en grande partie due à l'exploitation de ses ressources minières. Le pays est le cinquième producteur d'or et cette période de crise économique est propice à attirer les investisseurs vers l'or souvent qualifié de valeur refuge. Le secteur aurifère attire les appétits des grandes firmes et de leurs Etats. Les enjeux sont d'importance pour celui qui domine le marché.
Le marché de l'or, reflet des rapports de force entre puissances au Pérou
Le Pérou possède 8% des réserves mondiales d'or. A l'heure où certains experts parlent de Peak Gold, cette ressource constitue environ 50% des recettes à l'exportation et son exploitation est en constante augmentation. Le marché de l'extraction et de l'exploitation de l'or au Pérou est dominé par plusieurs sociétés. Sept entreprises possèdent à elles seules près de 63% du marché. L'implication de celles-ci et la déclinaison de leur actionnariat illustrent la main mise des Etats-Unis et du Canada sur le marché. En effet, la compagnie Yanacocha possède 24,65% du marché et a pour actionnaire principal la Newmont Mining Corporation dont l'actionnariat est américain à hauteur de 66%. Cette tendance est confirmée par la Société Financière Internationale qui est actionnaire à hauteur de 5% et dominée par les Etats-Unis qui y disposent du plus grand nombre de droits de vote. La Barrick Misquichilca, deuxième entreprise du secteur avec 17,40% du marché est quant à elle dirigée à 100% par la Barrick Gold Corportation dont l'actionnariat est canadien à plus de 80% et américain à hauteur de 13%. Une des particularités du secteur péruvien apparait comme la présence de plusieurs entreprises péruviennes d'importance sur le marché. En effet, l'addition des parts de marché de la Minera Buenaventura, de la Aruntani, de la Aurifera Santa Rosa (COMARSA) et de la Consorcio Minero Horizonte illustre une possession du marché à hauteur de 17,37%. Ces entreprises sont des descendantes indirectes de la politique des enclaves minières et ont réussi à se structurer lors des divers vagues de privatisation pour conserver leur marché. Elles reflètent également la main mise de certaines familles péruviennes sur le marché, pour exemple, la Buenaventura qui possède 6,74 % du marché a pour actionnaire principal la famille Benavides, majoritaire à hauteur de 27,7%. En parallèle, la société Sud Africaine Gold fields ne détient quant à elle que 3,60% du marché mais illustre également la présence d'un leader du secteur sur le marché du Pérou.
Outre un marché trusté par les entreprises américaines et canadiennes, les investissements en 2009 dans le secteur aurifère et les projets miniers futurs confirment cette tendance de position dominante des nord américains. En effet, en 2009, la compagnie américaine Yanacocha renforce sa position de leader sur le marché et investit 270 millions dans une usine de cyanure, 400 millions dans un projet à Chaquicocha et contribue à hauteur de 1,1 milliards de dollars dans un projet à Cajamarca. En octobre 2011, les projets approuvés par le ministère de l'énergie et des mines du Pérou mettent en avant la canadienne Barrick Misquichilca qui consolide sa position dans la région de Libertad avec un investissement de 400 millions de dollars alors que, dans le même temps, l'américaine Minera Yanacocha assoie sa domination sur le marché en investissant près de 4, 8 milliards dans le département de Cajamarca. La péruvienne Buenaventura bénéficie directement du projet de la société Yanacocha dont elle possède 43% et consolide ainsi ses parts de marché. Elle utilise en parallèle la société Compania Minera Coilmolache pour un nouvel investissement de 56 millions de dollars. La Gold Fields prévoit, quant à elle, d'investir 700 millions de dollars dans la région de Moquegua.
Cette volonté de domination des majors canadiennes se retrouvent dans les projets prévus par les entreprises locales qui voient en bonne position la Minera Antares Peru et la Minera Sulliden Shahuinda. Néanmoins la domination apparait moins flagrante quand la Chine fait son apparition par le bais de la Jintong Mining Peru qui prévoit des investissements d'un montant pour le moment inconnu. L'implantation de la Chine dans le secteur minier date du rachat de Hierro Peru par Shougang Corporation en 1992. Aujourd'hui, la Chine se renforce progressivement sur le marché péruvien. Sa stratégie est de se positionner par le biais d'entreprise locales appuyées par les majors chinoises à l'affut d'opportunités à saisir. En 2007, le canadien Peru Copper est racheté par Chinalco qui renforce sa position. La prise de contrôle de Monterrico Metals par Zijin est également emblématique. En 2007, Monterrico Metals est un des plus grands groupes européens dans le domaine minier, disposant de l'importante réserve d'or du Rio Blanco. Zijin propose de le racheter mais celui-ci refuse l'offre du consortium chinois. Dans le même temps, les protestations qui touchent Monterrico sur son site Rio blanco et les difficultés qui en découlent atteignent son cours de bourse. Zijin revient à la charge et pousse Monterrico à accepter son offre bien qu'elle sous évalue grandement la valeur réelle de la société. Elle prend ainsi contrôle de la plus grosse société européenne et des réserves du Rio Blanco. Le numéro deux chinois de l'exploitation minière acquiert une position stratégique sur le marché péruvien. Une stratégie globale est ainsi menée dans le secteur minier.
Entre 2011 et 2014, les sociétés Jhintong Minning Peru, Jhinzao minning peru, Junefield Group et Lumina copper devraient investir plus de 5 milliards de dollars dans des projets touchant les domaines de l'or, du fer et du cuivre. Bien que le marché de l'or soit aux mains des sociétés nord américaines pour le moment, la Chine partenaire privilégié du Pérou entend bien conquérir un marché en vue de diversifier ses réserves de changes et de se créer un stock d'or équivalent à celui des Etats-Unis et de l'Europe. Si la crise continue et dans l'éventualité où le dollar viendrait à se dévaluer, au vu de l'importance de la dette américaine, tout l'intérêt de la Chine réside à se tourner vers l'or. Quand certains analystes évoquent le retour à un Etalon Or pour résoudre le problème de la crise, la Chine serait en position de faiblesse au vu du peu de ressources d'or brut que sa banque centrale possède. Pour remédier à cette situation, celle-ci prend possession de différentes mines à travers le monde et achète plusieurs centaines de tonnes d'or par an ce qui dynamise le cours de l'or. Cette domination américaine n'empêche pas les mouvements de contestations auxquels doit faire face le président Humala.
L'activisme de la société civile et la nouvelle donne politique du président Humala
L'activisme de la société civile au Pérou n'est pas nouveau. Les différents mouvements populistes, de Fujimori à Garcia, ont consolidé une société civile active. Le développement de la protestation indigène s'est fait en corrélation avec la multiplication des concessions minières et de l'exploitation des ressources du pays par les grands groupes. Deux phénomènes ont forgé la société civile au Pérou. D'une part, les ONG militantes pour la défense des droits des indigènes se sont rapidement développées pour protester contre la dégradation de l'environnement due aux concessions minières. D'autre part, la paupérisation croissante d'une partie de la population a mis en avant la mauvaise répartition des richesses et de la manne minière du pays. C'est sous la présidence de Garcia que se sont mis en marche plusieurs mouvements sociaux à l'encontre des grandes sociétés minières du pays. Les associations militent aujourd'hui en faveur de "zones libres d'exploitation minière" et font pression sur le gouvernement. Proportionnellement plus importante en nombre, les sociétés américaines et canadiennes ont été les premières touchées. Les interventions d'ONG étrangères soutenant les droits des indiens se multiplient et certaines sociétés telles que Monterrico Metals en pâtissent. L'ONG britannique Peru Support Group se mobilise à Rio Blanco et fait chuter le cours de bourse de la société. Coïncidence troublante, le chinois Zijin, qui avait des vues sur la mine de Rio Blanco, en profite pour racheter la société avec une dévaluation de près de la moitié de sa valeur. Au vu de l'opacité de financement des ONG, il est difficile de dire si celles-ci sont instrumentalisées. La présidence Garcia a vu se multiplier les conflits sociaux violents qui ont fait parfois plusieurs dizaines de morts et ont conduit à la démission son ministre de l'intérieur sous la pression des ONG. En représailles, le gouvernement a poussé à l'adoption d'une loi en novembre 2006 visant à restreindre l'action des ONG au Pérou. Les ONG étrangères devront déclarer l'origine de leurs fonds auprès d'une agence spécialement créée. Si elles troublent les politiques économiques du gouvernement, l'Etat est en droit de bloquer leurs fonds et de prendre des mesures de rétorsions à leur encontre.
Cette loi n'a pas permis l'absence des contestations et, en 2011, un mois avant l'entrée en fonction d'Ollanta Humala, le président Garcia tente de calmer les mouvements sociaux par un moratoire de 36 mois sur les concessions minières à venir et en refusant un permis d'exploitation à la Beer Creek, entreprise canadienne. Le 28 Juillet 2011, le nouveau président, Ollanta Humala entre en fonction. D'origine quechua comme 80% de la population péruvienne et sensibilisé à la question indienne, la victoire d'Humala est avant tout celle de la gauche. Suite à son élection, la bourse péruvienne plonge et les milieux industriels, notamment le secteur minier, craignent un nouveau Chavez. Mais contre toute attente, le président Humala préfère la négociation au passage en force avec le secteur minier. Le gouvernement et la puissante Sociedad Nacional de Minería, Petróleo y Energía négocient ainsi une nouvelle taxation du secteur minier, inscrite dans la loi, et qui rapportera plus d'un milliard supplémentaire au gouvernement Humala. Ces recettes seront utilisées pour le développement des projets sociaux et la réduction de la pauvreté. Il semblerait qu'une nouvelle ère s'ouvre au Pérou, entre conservation des acquis économiques et progrès social.
Bibliographie
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Mathieu Dupressoir PXV
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