Si les entreprises dépensent encore aujourd’hui des sommes importantes pour sonder le public et définir ses besoins afin d’élaborer des produits coordonnant “offre” et “demande” (on a bien sûr toutes les raisons de douter de l’indépendance préalable de cette demande), Facebook constitue une formidable économie pour ces entreprises. Ce sont en effet les consommateurs eux-mêmes qui renseignent avec joie et délectation les sondages. Ils font tout le travail. On peut non seulement savoir ce qu’aime une personne mais encore connaître le réseau social de ses goûts, bref fédérer la communication d’un produit en se fondant sur un réseau social préexistant. Les applications de ce site internet sont encore une subtilité supplémentaire, parce qu’en les choississant les internautes décident eux-mêmes de ce sur quoi ils veulent être sondés et dépassent ainsi la logique du sondage où c’est le sondeur qui défini la question posée. On change ainsi de mode de représentation marketing. Une entreprise qui serait capable de croiser toutes ces informations pourrait alors proposer une publicité très ciblée.
On retrouve donc dans Facebook une extension du capitalisme de l’accès tel que Rifkin l’a défini dans L’âge de l’accès : La nouvelle culture du capitalisme. Toutefois si ce capitalisme vendait de l’accès (de la location par exemple) plutôt que des biens manufacturés et augmentait ainsi la dépendance, Facebook rend accessible les consommateurs eux-mêmes, c’est-à-dire la modalité principale des désirs à notre époque. Il y a donc là une interversion de ce à quoi on donne accès, interversion qui est aussi une radicalisation du capitalisme du siècle dernier. En basant l’accès sur les individus eux-mêmes, la séparation entre objet et individu s’écroule. Ce à quoi j’accède avec Facebook c’est un réseau social, des amis, mais c’est finalement dans un mode d’autoreprésentation qui boucle sur moi. J’observe ce que je fais autant que ce que font les autres. Les mini-feeds sont cette représentation. (S’) observer devient alors une activité quotidienne, inscrite dans le flux du réseau autant que dans le flux de nos activités journalières. De sorte que l’observation que le marketing effectuait auparavant par les sondages hérités de la sociologie du XIXème siècle, se transforme en une autoscopie de chacun et pour tous. N’est-ce pas là la définition même du capitalisme dans une société de contrôle où le mot “démocratie” n’est plus qu’un souvenir?