Le siècle dernier avait développé des espaces neutres. Ils étaient industriels, culturels ou économiques. La salle de cinéma en constitue sans doute l’apogée, mais les exemples de cette neutralisation de l’espace par l’invention d’espaces artificiels sont nombreux: usine, galerie, musée, isoloire, émancipation politique. L’utopie a été cet artifice. La neutralisation de l’espace a été un phénomène massif mais il n’a pas exclue des mouvements de territorialisation. Plus encore, l’utopie a été activement complice du désir de retour à des espaces préexistants comme ce fut le cas dans les différents systèmes totalitaires. Comment comprendre sinon l’obsession de Lénine et Hitler pour le cinéma? Ne voyaient-ils pas dans la salle, l’espace même de leur politique?
Actuellement, on peut observer un retour de l’espace. En effet, il ne s’agit plus de le neutraliser en l’inventant mais de cartographier des espaces déjà existants, comme avec Facebook. Plus encore, la technique ne doit plus se comprendre comme une puissance d’arrachement aux espaces, par la puissance industrielle, politique ou de la culture, mais comme la capacité à s’infiltrer dans l’espace quotidien par le biais de technologies portables. Nous revenons donc à l’espace. Nous ne l’avions jamais quitté bien sûr, mais il fait retour. GPS, Google maps, portabilité, etc.
Si le XXe siècle avait inventé un récit typiquement temporel, le cinéma, notre siècle est en train d’inventer de nouvelles formes de fiction qui sont spatiales. L’espace non comme une représentation mais comme ce qui a lieu. On ne s’identifie plus à des existences (les personnages), on s’approche de lieux connus ou inconnus. On passe donc de la narration qui est dépendante d’une progression temporelle (celle-ci n’étant pas obligatoirement chronologique) à une fiction sans narration.