Les positaires

Publié le 29 septembre 2007 par Gregory71

Je m’aperçois qu’un concept qui a effleuré dans l’article d’hier, les positaires, pourrait s’appliquer avec une certaine efficacité au domaine de l’esthétique technologique afin de comprendre la profonde reconfiguration de l’espace qui est actuellement à l’oeuvre.

Nous sommes passés d’une configuration spatiale cartographique dont l’utopie était de localiser précisément et absolument, c’est-à-dire sur un plan et des mesures communes, chaque lieu. Donner un nom à chaque endroit revenait alors à lui donner une coordonnées chiffrées en x, y et z. L’identification entre la carte est le territoire mène on le sait à des paradoxes qui sont ceux de la mimésis (Borges). La géométrie s’appliquait alors en procédant à une découpe de l’espace: passage du continu à des unités discrètes.

Actuellement, les technologies de géolocalisation et l’attribution d’une i.p, qui est l’identification de la position il faut nous en souvenir, à chaque objet modifie profondément notre relation à l’espace. Ce dernier n’est plus considéré comme une totalité dont la découpe en lieux garde une cohérence du fait de sa retotalisation selon des coordonnées communes (c’est la question complexe de la géométrisation de l’espace, j’y reviendrais prochainement en suivant le fil conducteur de Husserl), mais est considéré comme un ensemble de relations complexes et instrumentales entre des étants, tout aussi bien des objets utilisables que des êtres humains utilisateurs. Il faut donc s’imaginer chaque objet comme un positaire dont on pourrait avoir en temps réel les coordonnées spatiales. L’espace devenant ainsi radicalement dépendant de ce qui y habite, de ce qui y est déposé. Les positaires ont été associés à des positions, c’est-à-dire à un système de géolocalisation. Le concept de positaire est donc utilisé au sens d’un étant indissociablement identifié par sa localisation. La localisation est un mode relationel: une position est relative à une autre et permet de parcourir une distance d’un point vers un autre.

On comprend aisément en quoi notre relation a l’espace en est bouleversé. Prenons le cas très simple d’une paire de lunettes que j’oublie quelque part. Représentons-nous le sentiment qui nous saisit lors de cette perte temporaire, cet énervenement parfois difficilement supportable, nous trépignons que notre relation instrumentale à cet objet se soit disloqué par l’espace. Dans cet oubli, il y a un implicite de la situation: les lunettes sont dans l’espace, je présuppose qu’elles sont dans un contenant plus grand qu’elles et je ne parviens plus à rendre discret cette grandeur pour les localiser. Bref, dans l’énervenement a les avoir perdu, c’est tout mon engagement dans l’espace qui est en jeu, toutes le relations de cette totalité supposée et de ces lieux repérés. A présent, représentons-nous ce que serait ma situation quant à ces lunettes si elles deviennent des positaires, c’est-à-dire si leur position est identifiée par un système technique. Je ne pourrais plus dire qu’elles sont perdues (comme si elles s’étaient éloignées de moi), je les ai perdu et il me suffirait de les répérer par un système informatique par exemple. L’espace deviendrait alors un ensemble de découpes, de discrétions fracturées, localisées dont la totalité spatiale n’aurait plus à être supposée. Paradoxalement, perdre mes lunettes ne serait plus une question d’espace mais de temps: combien de temps pour les retrouver, c’est-à-dire pour consulter leur localisation sur mon ordinateur? De sorte que ce ne sont plus mes lunettes qui sont alors en jeu mais seulement une relation instrumentale à moi-même. Il y aurait en ce sens là, la garantie d’une déposition, c’est-à-dire la possibilité de répéter la position d’un étant.