Par Mathieu Saint-Jean
Nevermind est sans contredit l’album le plus influent des 20 dernières années. Il serait extrêmement difficile de remettre cette affirmation en question. Après tout, c’est l’album qui aura chassé le Roi de la pop du sommet du palmarès Billboard. Il s’agit aussi de l’album qui aura mis un frein au règne des groupes hair metal. En 1991, Nevermind aura démontré qu’il était possible d’envisager la musique pop différemment, tout en connaissant un succès considérable.
Pourtant, j’ai ressenti un grand déchirement prendre vie en moi au moment de l’annonce de la réédition des deux premiers opus des Smashing Pumpkins. Avec un recul d’une vingtaine d’années, une question ne cesse de traîner dans mes pensées : ce pourrait-il que le génie créatif de Billy Corgan ait finalement supplanté celui de Kurt Cobain?
Avant d’aller plus loin dans ce questionnement, je me dois de revenir sur cet amour inconditionnel que j’ai toujours porté envers Nirvana et son mythe. Un amour inconditionnel qui aura donné tout un sens à mon adolescence. Un sens que l’on pourrait transposer en centaines de dollars investis en enregistrements bootleg de piètre qualité au Rock en Stock (ouff! Ça ne me rajeunit pas ça) et en des murs de chambre qui donnaient l’impression d’entrer dans un musée du grunge (au grand découragement de mon père). Une époque où mon amour des Pumpkins se limitait à des questionnements sur l’identité sexuelle de James Iha (vêtu d’une robe pour les besoins de la superbe vidéo de Today) et des extraits d’une prestation explosive du groupe dans le cadre de l’arrêt montréalaise de Lollapalooza en 1994.
Malgré toute cette nostalgie, il faut revenir à notre propos initial. Malgré tout ce que les médias peuvent rapporter, ce pourrait-il que le génie créatif du sympathique (sarcasme) Billy Corgan ait finalement supplanté celui de Kurt Cobain? La question est plus que pertinente lorsque l’on se retrouve avec les plus récentes rééditions de ces deux créateurs d’exceptions. Dès la première écoute de Gish (1991), on constate que Billy Corgan (le compositeur) avait une longueur d’avance sur Kurt Cobain à l’époque de Bleach (1989). Bleach était loin d’être un mauvais album, mais sans l’effet Nevermind, force est d’admettre qu’il ne serait qu’un album parmi tant d’autres dans le catalogue de Sub Pop. Là où Bleach était sale et brouillon, Gish nous présentait un groupe en plein contrôle de ses moyens. Un groupe qui avait déjà un son bien à lui. Un son qu’il devait à des compositions brillamment développées, une voix singulière, des guitaristes au talent sous-estimé et à un batteur doté style lourd influencé des plus grands batteurs jazz (ici on est loin du facilement épuisable Chad Channing).
Un peu plus d’un an après la sortie de Gish, Corgan se décide à retourner en studio avec le réalisateur Butch Vig (Nevermind, Dirty,Wasting Light). L’enregistrement de ce qui sera appelé à devenir Siamese Dream ne sera pas de tout repos. Corgan souffre d’une grave dépression (et songe même au suicide), Jimmy Chamberlain est incapable de vaincre ses problèmes de dépendance, tandis que James Iha et D’arcy mettent fin à leur relation amoureuse. Malgré tout, le groupe réussi à sortir du studio près de quatre mois plus tard avec un album où le groupe semble avoir atteint son plein potentiel créatif. Un Siamese Dream où Corgan et ses comparses pourraient bien s’être mis d’accord, afin de transposer tous ses problèmes internes en musique. Une décision qui va leur rapporter puisque quatre simples seront tirés de ce deuxième album. Des simples qui seront aussi exploités dans des vidéoclips qui permettront de mettre en valeur la nouvelle image du groupe.
Au final, ce qui viendra le plus différencier le travail de Corgan face à celui de Cobain, c’est la quantité de musique que ce premier aura réussi à enregistrer en si peu de temps. La quantité, mais aussi la qualité de toutes ses compositions. On parle de 36 morceaux bonis pour ces deux seules rééditions des Pumpkins. Et ça, c’est compter toutes ces pièces inédites (et qui valent une écoute) qui se retrouvaient sur le bootleg Mashed Potatoes (un coffret de 5 cd et 76 pièces). Rien à voir avec l’édition 20e anniversaire de Nevermind où l’on découvrait peu de choses. J’espère que Kurt me pardonnera un de ces jours…
Sur ce, prochain arrêt, les réédition de l’ambitieux Mellon Collie & The Infinite Sadness et de ses restants (mais quels restants!) The Aeroplane Flies High…