Sous la tente, des tables, des livres, des auteurs chevronnés ou novices, des visiteurs solitaires ou en famille avec enfants et chiens...
Il faudrait disséquer un salon - on a dû le faire -, analyser les moments forts, les instants de grâce, les coups de mou, quand le visiteur se fait rare, la digestion lente et que l'on n'a plus guère envie de se tenir debout derrière une pile de ses propres romans.
Debout, oui, pour moi, il faut l'être, on ne peut se contenter de rester assis à regarder passer les gens, d'un mouvement de tête de bas en haut... En plus, un auteur dans un salon, c'est comme un hôte qui reçoit: on n’accueille pas ses invités vautré dans un canapé!
Et puis, étant très sensible aux thèmes de l'être et du paraître dans mes histoires, je n'oublie pas l'importance des apparences: la table qui divise d'un côté l'auteur, de l'autre le visiteur, souvent un peu gêné, si ce n'est intimidé par le fait que celui, qui a écrit, soit devant lui. Il hésite à aller au-delà d'un titre - qui est au demeurant souvent trompeur- , à se saisir de l'objet, à lire la quatrième de couverture, à parcourir quelques lignes pour entrevoir le style... Je les encourage, prenez, je vous en prie, un livre ça se touche, se renifle, se place dans la main... c'est "physique". Donc, la table peut être un obstacle... cela introduit presque - et inconsciemment- des rapports de maître à élève, de patron à subalterne, bref, pas très engageant pour établir un dialogue... C'est pourquoi, je préfère rester debout, sauf bien sûr au moment d'écrire la dédicace, mais là, la glace a déjà fondu...
Parfois aussi, je brouille les pistes, me place de l'autre côté de la table... intéressant: d'abord, la plupart des personnes ne me regarde plus, je cesse d'être un auteur, même pas très connu, je bascule dans l'Anonymat avec un grand A.
J'imagine un salon du livre dans lequel les auteurs se placeraient devant leurs livres, les visiteurs devraient aller leur parler d'abord, pour découvrir ensuite ce qu'ils écrivent...
Dans ce genre de manifestations, il y a bien sûr les ténors, les vedettes, ceux et celles qui n'ont pas une seconde pour se lever, tant est longue la file de leurs fidèles qui attendent leur signature et leur sourire, le livre serré sur le cœur. Là, je m'incline modestement...
Mais parfois aussi, la foule se presse devant une star qui n'a rien à voir avec les lettres: à côté d'un Charles Aznavour ou des frères Bogdanoff, je ne suis pas sûre que Christian Bobin gagnerait en nombre...
Il y a les auteurs blasés, les fatigués, les bavards, ceux qui passent le temps en discutant entre eux... Il est vrai que l'on fait de belles rencontres de part et d'autre de ces tables.
Parler de ses livres n'est pas chose facile, j'aimerais plutôt partager mes emballements pour tel ou tel écrivain que j'apprécie. Néanmoins je peux évoquer mes personnages, et j'attire souvent des confidences...
Les femmes qui s'arrêtent devant Deux ou trois choses à te confier, journal d'une mère d'adolescente hochent la tête en signe de complicité en me disant qu'elles connaissent bien ce sujet, qu'elles aussi... je regrette que certaines d'entre elles filent sans que j'aie pu au moins leur expliquer que mon roman n'est pas une énième complainte d'adulte sur la paresse et la désinvolture des adolescents, mais au contraire une histoire pleine de tendresse pour une jeunesse bien souvent malmenée.
Je suis toujours très heureuse de revoir des lecteurs qui, m'ayant découverte une année auparavant, reviennent partager leurs impressions et partir à la découverte d'un autre de mes titres.
Il y a eu aussi cette inconnue, qui admirait les danseurs de tango sur la couverture de De vous à moi: je lui expliquai que c'était un roman épistolaire, et qu'un de mes lecteurs m'avait avoué que cela donnait envie de tomber amoureux... "Je le prends, me dit cette dame, avec un regard malicieux, pouvez-vous le dédicacer à ...., je vais le lui offrir, on ne sait jamais..." et elle me glissa, à voix basse, un prénom masculin.
J'aime les salons!