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Esthétique et objets techniques

Publié le 05 novembre 2007 par Gregory71

Les relations que nous entretenons avec les objets se sont complexifiées au fil du temps et sont passées d’un régime symbolique à un régime instrumental. Il suffit pour s’en convaincre de s’imaginer les objets qui entouraient les êtres humains il y a deux siècles et de regarder simplement ensuite autour de nous.

Cette multiplication relationnelle entraine dans son sillage une complexification esthétique dans le champ artistique dont l’espace d’intervention devient plus difficile à cerner. Ce pourquoi il est difficile de parler d’art au singulier. Il nous semble en ce sens quelque peu absurde de considérer le champ artistique comme quelque chose d’autonome avec ses problématiques et ses dynamiques propres. Il est sans doute plus riche d’y voir le symptôme d’une époque déterminée et d’abandonner le privilège de quelque chose qui initierait un mouvement par je ne sais quelle inventivité créatrice. La production artistique vient toujours après en quelque sorte et il faut laisser l’idéal moderniste d’une anticipation. De surcroît, entrevoir la production artistique indépendamment de notre relation à la technique vide la première de son contenu matériel. Il faut donc envisager la synchronisation et la désynchronisation de notre conception artistique par rapport à notre contexte technologique, aller et venue qui est ouverture et configuration d’un monde.

On pourrait dès lors reprendre des termes fréquemment utilisés dans le champ de l’art contemporain pour définir les esthétiques en jeu, et non seulement tisser des liens entre eux mais encore saisir en quoi ils sont le produit d’une activité sociale exogène qui ne se limite pas à l’art. De l’esthétique relationnelle dont le désavantage nous semble consister en son caractère pléonasmique (comment une esthétique pourrait ne pas être de quelque façon relationnelle fut-ce dans la démesure du sublime?), à l’interactivité, à la participation et à ce que nous nommons, sans en être satisfait, l’instrumentation. Il s’agit chaque fois de concepts servant à déterminer une relation entre A et B, une manière de causer, de déterminer tel ou tel événement.

Le relationnel consiste à faire de la relation elle-même le mode opératoire de la causalité et le contenu de la perception (se sentir faire ceci ou cela).
L’interactivité consiste en une causalité déterminée par des règles programmatiques, cette causalité peut être à un sens ou à double sens (feedback) et est fondée sur les présupposés de la cybernétique.
La participation oblige le spectateur à ajouter un élément pour que quelque chose opère. Il participe d’un manque en quelque sorte.
L’instrumentation quant à elle inclue ou exclue les participants selon des critères déterminés. On peut parler d’esthétique sélective.

Dans tous les cas, il nous semble que l’esthétique consiste à produire ou à défaire une causalité, à rentrer en rapport avec un objet d’une façon déterminée. Cette mise en rapport n’est plus indépendante d’un contexte plus large qui nous détermine. Elle ne l’a peut être jamais été. De plus, dans les cas précités, il en va de la construction d’un corps en tant que celui-ci intervient de telle ou telle façon. Serait-ce dire là que si la dépendance de l’objet est grande par rapport au corps qui le perçoit et le manie, la dépendance du corps par rapport à l’objet est toute aussi grande même si elle ne répond pas au même régime intentionnel? Serait-ce penser que le corps n’a jamais été indépendant des objets et que la production artistique ne consisterait qu’à révéler cette inextricabilité qui porte notre système perceptif toujours au dehors? Faudrait-il alors penser notre corps non comme corps-séparé mais comme corps-déplacé, se sentant comme du dehors, ou sentant le dehors du dedans? Faudrait-il placer cette vibration du dedans et de dehors comme la condition même de notre perception? Et faudrait-il encore penser que cette vibration entraîne des réactions de conjuration cherchant à séparer et à énoncer ce qui est moi et ce qui n’est pas moi, ce qui est du dedans et ce qui est du dehors, ce qui est percevant et ce qui est perçu?

Relire La lettre à Lord Chandos comme cette sensibilité qui trouble les frontières et le langage, langage qui tel un programme informatique défini les règles de notre mise en rapport avec, langage qui tel un programme informatique peut aussi défier les règles préétablies, faire trembler leur valeur de signes, en inventer d’autres fut-ce dans la suspension incertaine de ce qui est à venir. C’est pourquoi il faut devenir insensible pour sentir.


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