À l’instar de leurs élites, les français ont une bien curieuse perception de l’économie.
Par Marc Suivre
Les français sont-ils nuls en économie ? Un excellent député UMP des Yvelines vient récemment d’animer, à l’Assemblée nationale, un colloque sur ce sujet, au combien d’actualité. Hélas, poser la question en ces termes c’est aussi y répondre. Ce constat est d’ailleurs d’une si évidente banalité que dans ce domaine, comme dans bien d’autres, il relève de cette tristement célèbre « exception française ». Que l’on se glorifie à ce point de nos tares est d’ailleurs tout à fait révélateur, tout comme le fait, pour le parlementaire en question, de devoir battre Benoit Hamon en juin prochain pour espérer pouvoir garder son siège. Qu’un parti, prétendument de gouvernement comme le PS, puisse faire d’un pareil ahuri, non seulement un candidat, mais surtout son porte-parole, voilà qui résume tous les colloques sur la difficulté qu’ont les français à appréhender le monde économique dans lequel ils évoluent.
Au commencement était le verbe
Vous l’aurez surement remarqué, tout ce qui se trouve à la gauche d’Alain Madelin – et même aussi ce qui se situe à sa droite – prétend, sans rire, que nous vivons sous le joug de « l’ultra-libéralisme ». Lorsqu’ils sont à la droite de François Bayrou, ils prétendent « en corriger les effets néfastes », lorsqu’ils sont à sa gauche, ils entendent sortir la France de la « dictature des marchés ». Le Béarnais fluctuant, quant à lui, de l’un à l’autre au gré des vents du moment qui sont au centre, comme chacun le sait depuis Edgar Faure, particulièrement tourbillonnants. À l’instar de leurs élites, les français ont donc une bien curieuse perception de l’économie. Décrire comme un « enfer libéral » un pays où 54% de la richesse est produite par divers monopoles d’État, revient à faire de la défunte Union Soviétique le canon de l’économie de marché.
La modération légendaire de la Presse française
Comme souvent en France, tout est dans le choix des mots. Nous venons de le voir, la dénonciation des méfaits supposés du marché est un mantra. Pas un politicien, pas un journaliste, pas une élite causant dans le poste qui ne les présentent comme LA cause de tout mal. Par association, en dépit des beaux discours sur le « vivre ensemble », les plus exaltés des zélateurs de l’exception française (comprendre la gauche de progrès), maudissent et vouent à la vindicte populaire tout ce qui, de près ou de loin, participe à la marche de l’économie. Ainsi sommes nous constamment invités à faire « rendre gorge » à ces salauds de banquiers. Il nous est également fortement conseillé de nous méfier comme de la peste, du monde de la finance apatride et de ses infâmes spéculateurs qui n’ont qu’un but : dépouiller la veuve et l’orphelin. Je n’exagère pas, ce discours de haine est dans tous les journaux et dans toutes les bouches de la classe parlante. Remplacez les mots « financiers, spéculateurs et banquiers » par le mot « juif » et vous aurez – en plus d’un retour aux-heures-les-plus-sombres-de-notre-histoire, une vue assez réaliste de ce que l’on donne quotidiennement à penser aux français de l’économie.
Keynes ou le mythe de l’État providence
En réalité, notre élite – comme notre armée en 1914 et en 1939 – est en retard d’une, voire de deux guerres. Comme il n’y a rien de mieux que le « modèle social français » (on s’en doute) tout est bon pour le sauver, surtout les plus invraisemblables contre-vérités économiques. Les théories du petit père Keynes (le véritable petit père des peuples, à bien y regarder) étant particulièrement trapues, on nous les synthétise à l’envie pour mieux nous les faire absorber. Il ressort de ce dogme intangible, qu’en matière économique le salut de la France passe par la consommation. Cette dernière ne pouvant être soutenue que par les largesses de l’État, le cercle vicieux est enclenché. Dis-moi combien tu dépenses, je te dirai ce que valent tes intentions.
Lorsque l’on se penche un tant soi peu sur cette assertion ânonnée à longueur d’ondes et de colonnes, on touche au génie français en matière de piège à cons. En effet, cette sacro-sainte consommation permet de transformer instantanément le vice en vertu, la paresse en qualité et le manque de courage en mode de gouvernement. Vous le savez bien, on vous le répète assez, toute relance de la croissance passe par celle de la consommation. Des sous, des sous ! Tout s’arrangera, tout s’améliorera. C’est la doxa socialiste [1], à peine aux affaires, les responsables du « Parti de l’intelligence » ouvrent les vannes pour « relancer la consommation ». Souvenez vous de 1981 et des 35 heures de l’amère de Lille. Sans remonter aussi loin, quelle était donc l’alternative socialiste au plan de relance de cet usurpateur de Sarkozy en 2008 ? La relance de la consommation cette bonne blague ! À cette époque, François Hollande et son troupeau d’énarques fustigeaient les emprunts destinés à assurer le financement des entreprises et réclamaient à cor et à cris que ces milliards soient « rendus aux français ». Notons au passage que pour qu’on nous les rendissent, il eut fallu que nous les possédâmes au préalable et non que l’on aille les pêcher dans les eaux troubles de la finance apatride ; mais bon la sémantique… Seulement que se passe-t-il dans un pays désindustrialisé comme l’est la France quant on relance la consommation ? Les importations explosent et le déficit commercial se creuse. La consommation, c’est les dépenses chez nous et la croissance… chez nos fournisseurs !
La politique de l’État nounou, fossoyeur de la politique industrielle
L’exception française, c’est qu’à force de remettre à demain les ajustements nécessaires et de faire toujours supporter aux mêmes les coûts exorbitants de notre « modèle » social, on s’est acharné à faire fuir les entreprises et donc les emplois qui vont avec. Salauds de riches ! Nos politiciens grands dispenseurs de morale de supérette n’ont pas vu – ou pas voulu voir – que la mondialisation, si elle ouvrait de vastes perspectives de croissance aux nations pourvues d’un outil industriel conséquent, entrainait aussi, une remise en cause des politiques sociales financées par le seul facteur travail. En commençant par nier cette réalité avant de la dénoncer comme l’œuvre du complot de la finance internationalisée contre le génie français, nous avons laissé filer des millions d’emplois. Tous nos politiciens sont comptables de cette bérézina. La gauche par aveuglement idéologique et la droite par pure lâcheté.Plus les effets de cette réorganisation économique planétaire se faisaient sentir, plus les entreprises délocalisaient et plus l’État brassait de l’air en gaspillant les précieuses ressources qui nous auraient été nécessaires pour nous adapter, à l’instar de ce que firent l’Allemagne, l’Europe du nord ou le Canada. Pendant toutes ces années, personne ne s’est jamais demandé ce qu’il pouvait faire pour son pays, mais des tas de politiciens très malins nous ont expliqué ce que le pays devait faire pour nous. Et nous les avons cru ! Notre cécité économique a, jusqu’à présent, préservé ces jobastres, du goudron et des plumes qu’ils méritaient pourtant amplement. Pire, nous continuons de les élire scrutins après scrutins. En France l’échec ne signe pas la fin d’une carrière politique, juste le droit de revenir la prochaine fois. Combien de dizaines d’années avons-nous trainé nos Giscard, Chirac et Mitterrand ? Le résultat de cette insondable stabilité du personnel politique est que nous avons payé nos droits sociaux avec de la monnaie de singe – fut-elle libellée en Euro - car nous n’avons jamais voulu ajuster nos dépenses à nos recettes. Pourquoi prendre des mesures impopulaires alors que demain nous raserons gratis ! Nous avons délibérément foncé dans le mur en empruntant massivement pour financer des déficits causés par notre goût immodéré pour la distribution de faux droits. Nous ne sommes pas les seuls, mais nous, nous sommes partis vers ce mur en klaxonnant car nous sommes exceptionnels ! J’exagère ? Écoutez donc les socialistes parler de la dépense publique (retraite, minima sociaux, nombre de fonctionnaires, collectivités locales…) et vous entendrez le klaxon.
Après la noce
Alors, comme chez le noceur impénitent, le réveil est douloureux. La crise de la dette vient tenir le rôle de la crise de foie et c’est avec la bouche pâteuse que le pays voit venir les signes avant coureurs de la fin de l’État nounou. De cigale nous allons devoir redevenir fourmi (car nous l’avons été par le passé, mais oui, mais oui !). Lorsque cette génération de pilleurs de baby-boomer qui nous gouverne aura enfin passé la main, nous allons devoir remettre à plat tout ce dont ces sangsues ont joui toutes ces années sans entrave. Puisqu’ils ont dépensé l’argent de leurs parents, le nôtre et celui de nos enfants, il va bien falloir faire notre deuil de l’État providence. Providentiel, il le fut pour une génération et une seule. Les suivantes auront à charge de le remettre sur pied pour qu’il puisse encore servir le destin national. Merci à tous les Cohn-Bendit, Weber, July et autres figures de proue de mai 68, qu’aurions-nous fait sans elles ?
Il est amusant, dans ces petits matins glauques, de voir ou d’entendre les donneurs de leçons professionnels s’indigner de la toute puissance des marchés financiers. Ces affreux agioteurs qui complotent contre la démocratie et imposent aux peuples leur volonté, en limogeant comme bon leur semble les gouvernants qu’ils s’étaient donnés. Exit les Papandreou, Berlusconi et autre Zapatero, nous entrons dans l’ère de la politique austère (vous allez voir, Jospin va revenir de l’île de Ré). Même si l’on est libéral et que l’on se félicite de ce retour – très progressif – à la norme et à l’orthodoxie budgétaire, force est de constater que ce qui vient de se passer dans les pays du « club med » est de nature à semer le trouble chez le moins « complotationiste » de nos contemporains. Que les deux « super Mario » italiens et le nouveau Démosthène d’Athènes soient tous passés par chez Goldman Sachs, la banque spécialisée dans les tripatouillages, entre autre, de comptes grecs, a de quoi inquiéter. Il n’en demeure pas moins que pour envoyer promener les marchés et les banques, il faut en avoir, au sens propre, les moyens.
Le grand « yaka-faut-qu’on » de Saône et Loire, la « révélation » des primaires socialistes a acquis sa notoriété en refusant la dictature des marchés. Grand bien lui fasse, mais comment ce guignol compte-t-il s’y prendre pour maintenir le « modèle social » français en envoyant promener ceux qui le finance ? L’indépendance nationale est devenue une utopie par la grâce de trente années de laxisme budgétaire post soixante-huitard. Quand on emprunte, on se met dans la main du préteur, c’est vieux comme la banque et l’usure. Il n’y a que deux façons d’en sortir. Soit on paye ses dettes et, selon le dicton populaire, on s’enrichit. Soit on arrête de payer et dans ce cas, il faut aller chercher l’argent à la pointe des baïonnettes. Ce sont, au pire, les guerres révolutionnaires ou, au mieux, la guerre froide. Au moins, pour cette dernière sommes-nous bien préparés à la livrer, par la grâce de notre fonction publique soviétiforme et de « l’intelligentsia » qui en découle. Rappelez-vous des élections de 2007, au premier tour, nous avions un représentant de chaque sous-secte trotskiste. Les adeptes de la sainte trinité marxiste (Lénine, Marx, Engels) avaient un choix qui allait du bolchévisme modernisé au Lambertisme soit 4 des 10 candidats en lice. Quand on voit vers quelle Sibérie intellectuelle Alain Madelin a été exilé après son échec en 2002 par toute la France qui cause, comment douter que la France du 21ème siècle, soit la dernière survivance de l’URSS et qu’en conséquence les Français soient des buses en économie?
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Sur le web
[1] Je suis bien conscient que ceux qui se sont, sans rire, prétendus de droite ont aussi mené pendant des années, ce type de politique imbécile. Seulement comme la source intellectuelle de cette aberration est à gauche, je dénonce le modèle, pas les ersatz.