Il y eut une époque où l’art numérique signifiait travailler sur un ordinateur et y rester. Le travail se représentait par des interfaces de sortie, l’écran par exemple. L’idéal de cette sortie était la réalité virtuelle qui promettait l’immersion parfaite dans le monde idéal de l’ordinateur. Ceci correspondait à un désir de sortir du monde pour créer un autre monde, protégé, fiable, réglé enfin par la loi des chiffres. Cette loi parfois déraillait et tout allait de travers: bug, incident, perte de mémoire. La complexité algorythmiques et les sur-couches du système atteignaient un tel enchevêtrement que l’arrêt était toujours possible, la perturbation pouvait faire vibrer nos programmes et faire trembler leurs fonctionnements.
Nous savions déjà alors que l’informatique ne concernait pas seulement le monde de l’ordinateur, qu’il s’agissait là d’un paradigme plus global qui s’insinuait dans toutes les sphères de l’existence. Nous étions déjà tissés, depuis notre enfance télématique, par ce monde.
A présent, l’informatique détermine une grande part de l’activité artistique: écrire un dossier pour une demande de subvention, noter ses idées en amont, faire des schémas et des simulations, accumuler une documentation, faire des recherches, une installation interactive ou non, mais encore, et c’est là un phénomène récent pour les artistes, piloter des machines pour travailler la matière. L’ordinateur est devenu au fil du temps un méta-outil réglant les autres outils par la loi commune des chiffres. Je peux ainsi graver, couper, creuser, imprimer, mouler à partir de cette seule machine connectée à d’autres machines selon un protocole commun.
C’est pourquoi nous voyons de plus en plus de projets artistiques qui partant de l’informatique viennent à la rencontre d’une matière déterminée. Et ce n’est pas là perdre la logique du numérique et les spécificités esthétiques de celle-ci, c’est bien au contraire l’approfondir car le travail de la matière devient une traduction, une transduction de cette logique commune. La question qui se pose alors est celle de la déclinaison d’un modèle en matière, et des transformations impliquées par cette déclinaison.
Encore faudrait-il comprendre pourquoi la matière prend forme selon des protocoles numériques. Pourquoi, historiquement parlant, il y a ce passage de la matière à la forme, en partant des chiffres, et comment ces chiffres ne correspondent peut-être pas à un idéalisme platonicien et mathématique, mais sont aussi la possibilité d’une métamorphose imprévisible: modèle d’une chaise en 3D qui devenue plâtre par stéréolithographie gagne en grain, en irrégularités, quelque chose prend forme mais reste ici informe. Jim Campbell est un bel exemple de ces nouvelles formes auratique.