Il y a un glissement progressif de Facebook, une transformation subtile des mini-feeds réglée par les internautes eux-mêmes. Pourtant la cohérence de cette modification n’a été produite par aucun mot d’ordre explicite, les gens ne se sont pas même passés le mot. C’est sans doute le fonctionnement interelationnel de ce site qui oblige implicitement à ce changement. Tout ce passe comme si le logiciel en ligne Facebook induisait un devenir des comportements, devenir qui standardisé ne relève peut être plus de l’individuation.
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Les mini-feeds qui permettaient de retracer une part de l’existence des utilisateurs, voient leur fonction évoluer et ne plus servir qu’à diffuser des événements, c’est-à-dire des faits dont on anticipe la réalisation, par exemple aller à tel endroit, à telle exposition ou concert, appartenir à tel groupe en vue de réaliser telle activité, etc. Que s’est-il donc passé et pourquoi ce passage de l’existence publiée en flux à l’événementialité mondaine?
C’est là l’un des effets de ce qu’on n’ose pas nommer l’intelligence collective de Facebook et qu’on préfererait signaler comme la censure collective de Facebook, une censure sans doute douce mais généralisée: les internautes modifient la “privacy” de leurs profils afin de ne publier sur leurs mini-feeds que ce qu’ils croyent pouvoir intéresser tous. Et ils font cela en réaction à un énervement de voir l’existence détaillée de leurs amis en ligne. Lire en page d’accueil de son Facebook, la moindre modification de profil, la moindre activité devant son ordinateur de ses amis mondains ou numériques, c’est être submergé par ce que j’ai nommé ailleurs “la passion des anonymes”, par une esthétique des multiplicités. Et je sais devant ce déluge que j’en fais parti, que moi-même je produis de l’afflux, quelque chose de trop. Je réduis ce que je publie afin que les autres suivent l’exemple. On voit là toute une relation politique à l’autre se dessiner, tout un schéma d’attente et de déception, d’exemplarité, de subsumation entre le sujet et autrui. Mon action est une prétérition de celles des autres. Plus important peut être ce changement est un retour à la représentation classique: alors que quand je publie mon activité devant mon ordinateur et sur Facebook il y a une identité entre le support de publication et le référent, quand je publie avec Facebook des événements mondains, j’utilise le support pour un référent externe, et ce support devient donc une représentation en un sens fort.
Ainsi, le retour à une délimitation assez précise entre le privé et le public, entre l’intime et le publié, entre l’invisible et le visible est fondée sur une régulation des flots: je ne veux pas être submergé par le flot de l’existence des autres, je règle donc les paramètres de la publication de mon propre flot d’existence. Mon flot devient flux parce qu’il y a l’effet d’une réciprocité entre ce que je demande à l’autre et ce que je donne de moi-même. Une démocratie logicielle? La relation politique comme refoulement des flots individuels? Bien sûr, une société de contrôle.
ps: L’une des formes prises par cette transformation est l’usage de plus en plus fréquent de Facebook pour faire sa publicité personnelle. Des personnes envoient à tout leur carnet d’adresses une vidéo, publicité pour je ne sais quel événement. La fin de Facebook sera surement liée à ces usages de spam. Nous nous désinteresserons de ce site lorsque nous serons submergés par les egos.
Notes:- Office Kiss” by Kristof Wickman, Tyler Peterson and Shaun Owens-Agase ↩