Peut-être le corps n’est-il structuré que par des habitudes. Si le concept d’habitude est dévalorisé comme étant une simple répétition de l’identique permettant l’analyse scientifique qui aime à réitérer les expériences de façon identique, on peut la considérer différemment comme une répétition de la différence. Lorsque j’ai une habitude quelque chose se répète mais ce n’est jamais la même chose ou, d’un autre point de vue, c’est toujours la même chose mais jamais répétée de façon absolument identique. On peut regarder la répétition ou l’objet de la répétition, l’effectuation ou l’anticipation, la rétention ou la prétérition, de tous les côtés ça déborde le principe d’identité.
La question de l’habitude est donc moins simple qu’il ne pourrait sembler au premier abord. L’habitude comme quelque chose qui vient contrôler les flux corporels, car qu’est-ce que serait au juste un corps sans habitude, un corps sans répétition qui à chaque instant inventerait son fonctionnement ? C’est peut être la question posée par Beckett ou par certaines performances. Il y a des habitudes conscientes et inconcientes, voyez le corps, voyez la respiration, voyez le matin quand vous vous levez et que dans une semi-pénombre vous faites le café. Observez ce qui se répète, la bureaucratie, les poubelles, les sorties, les vernissages, les lectures, votre compte en banque, la manière dont vous descendez l’escalier pour aller dehors et cette autre façon que vous avez d’insérer votre clef dans la serrure.
Les habitudes s’inventaient pour chaque corps jusqu’à l’obsession parfois mais elles étaient surtout politiques. C’étaient des symboles investis, surchargés d’un sens. Voyez l’impact des religions sur le réglage des corps. Une religion ce n’est peut être que cela, un contrôle des corps, une structuration par habitude, prière, nourriture, habillement, etc. Les habitudes circulaient de personne en personne selon certains vecteurs qu’on subsumait parfois sous le nom unique de culture ou de civilisation.
Observons à présent ce qui advient avec le réseau. Les habitudes circulent, elles se traduisent de corps en corps, les images d’un corps investissent l’intimité de cet autre corps, elles se répandent (Dance with me). Elles étaient corps, elles sont devenues images, elles redeviennent corps, mais ce jeu de circulation a bien sûr tout changé, ce n’est pas le même corps, cela ne l’a peut être jamais été car un corps dès qu’il anticipe son enregistrement visuel et donc sa diffusion, sait qu’il y a d’autres corps, des habitudes qui sont leurs langages secrets, à chacun d’entre eux.