Je suis allé voir le dernier Béla Tarr.
Non, ça ne veut pas dire que j’ai rejoint tardivement la secte des adorateurs de Twillight (j’ai décidé d’arrêter les frais au deuxième épisode…). Juste que j’ai vu Le Cheval de Turin, le nouveau long-métrage du chef de file du cinéma hongrois, Béla Tarr.
En même temps, cela revient à peu près au même, car le bonhomme fait aussi l’objet d’un culte de fanatiques inconditionnels de son style de mise en scène… Pas des nymphettes hystériques, mais des illuminés un rien masochistes… Un peu à l’image du jeune bobo assis à côté de moi lors de la projection, qui se frottait les mains et trépignait d’impatience avant la projection, excité qu’il était de découvrir le nouveau “chef d’oeuvre“ de son idole. Il est vrai que les cinéphiles sont un peu bizarres – moi même, je peux être un peu dingue – mais là, quand même, ça faisait un peu peur…
Et ça m’a fait encore plus peur quand, à la fin du film, le garçon a applaudi à tout rompre, en criant son admiration – Géniâââl!, Géniâââl! – alors qu’il a ronflé pendant plus de la moitié du film, comme une bonne partie de la salle. J’avoue moi-même avoir piqué du nez à trois ou quatre reprises, apparemment sans avoir raté quoi que ce soit d’essentiel, la caméra n’ayant pas bougé d’un iota…
Oui, Le Cheval de Turin est un film ennuyeux à mourir, à l’intrigue minimaliste et à la lenteur exaspérante.
Comment résumer un tel truc? Le point de départ est ce qu’il y a de plus intriguant : la voix-off raconte comment, un jour de janvier 1889, le philosophe allemand Friedrich Nietzsche, alors résidant à Turin, a assisté au triste spectacle d’un cocher fouettant désespérément son cheval qui refusait d’avancer. Nietzche a mis fin à cette scène brutale en enlaçant l’animal et en sanglotant. Quelques jours plus tard, le philosophe sombrait définitivement dans la démence…
Mais Béla Tarr ne cherche pas à s’attarder sur le déclin du philosophe. Il va se concentrer pendant plus de deux heures, sur le cheval et son cocher – ou d’autres leur ressemblant…
Le film est constitué de six chapitres, et autant de journées de l’existence de cet homme et de sa fille, qui l’assiste dans leur petite exploitation agricole, perdue en rase campagne. Chaque jour ressemble aux autres : la fille se lève en premier, va chercher l’eau dans le puits, habille le vieil homme, infirme, puis lui donne son petit déjeuner, un ou deux verres de gnôle maison. Le bonhomme peut alors atteler le cheval et se préparer à partir travailler sa terre, comme chaque jour, et quelles que soient les conditions météorologiques. Sauf que comme le canasson a décidé d’être récalcitrant et de toute façon, il y a dehors un vent à décorner les boeufs, le bonhomme doit vite renoncer. Il rentre à la maison, se fait aider par sa fille pour se changer et coupe un peu de bois pendant qu’elle prépare le repas, toujours le même : une patate chaude dégusté encore fumante, avec une grosse poignée de sel… Et hop, ils vont se coucher… Et rebelote le lendemain… Et le jour suivant… etc…
Au début, j’ai supporté, malgré l’extrême lenteur des plans-séquences – certes maîtrisés – le côté minimaliste de la chose. Mais le côté répétitif du dispositif n’a pas tardé à user ma patience. Après deux dégustations de patate chaude, d’habillage/déshabillage/ré-habillage, j’ai commencé sérieusement à regarder ma montre. Et quand défilaient les chapitres : Jour 1, Jour 2, Jour 3…, j’ai commencé à prier que le cinéaste ne nous fasse pas tout le mois comme cela, d’autant que l’action est aussi rare que les dialogues et que rien ne vient perturber cette ennuyeuse routine…
Rien? Ah si, à un moment, la fille étend le linge et la chemise occupe toute la largeur de l’écran. J’ai alors frémi en pensant “pourvu qu’il ne nous montre pas le linge en train de sécher en temps réel” (ouf, non…). Et le duo reçoit la visite d’un type qui vient de nulle part et se met à disserter pendant cinq minutes sur les difficultés économiques, le fait que le monde est condamné et que les dieux n’ont jamais existé (une scène-clé autour de la philosophie nitzchéenne, qui tombe un peu comme un cheveu sur une patate chaude).
Bon, j’exagère. Le film obéit quand même à une certaine logique narrative. Chaque jour semble similaire aux autres, à quelques variantes près, mais plonge un peu plus le paysan et sa fille dans le chaos. Le cheval refuse d’avancer, privant les deux êtres de leur récolte et donc, à la fois de nourriture et de gagne-pain. Puis le puits se tarit brusquement, sans explication, les privant d’une ressource vitale. Ils essaient bien de fuir, mais, puisque le cheval n’est toujours pas décidé à les aider, ils sont obligés de marche. Et comme la tempête redouble d’intensité, ils sont obligés de renoncer… Enfin, le feu finit par s’éteindre lui aussi et le duo se retrouve à manger leur dernière patate chaude (ah non, crue, puisqu’il n’y a plus d’eau ni de feu…), dans le noir… Woh! Voilà un film qui regonfle bien le moral…
Bon d’accord, j’admets que l’idée n’est pas idiote. Un peu prétentieuse, à la rigueur, car assénée de manière péremptoire. Cette allégorie d’une humanité qui tente de s’accrocher au moindre souffle de vie, au moindre souffle d’espoir, alors que tout indique une apocalypse imminente est toutefois assez fascinante, car elle trouve un écho dans le contexte mondial actuel et qu’elle peut aussi se lire comme une prolongation des grandes interrogations philosophiques des XIXème et XXème siècles.
Seulement, était-il bien nécessaire – et bien raisonnable – d’étirer à ce point la durée du film? Le message du cinéaste n’aurait-il point pu passer en raccourcissant l’oeuvre d’une bonne demi-heure, sans que cela n’altère ni son rythme lancinant, ni sa beauté plastique ? Et même, est-il nécessaire de passer par un tempo aussi lénifiant pour communiquer la sensation de routine?
Non pas que je déteste ce genre de film, loin de là. J’aime les oeuvres de Bergman, de Tarkovski, d’Antonioni. Mais malgré leur lenteur, les films de ces auteurs procurent des émotions, des sensations. Mais là, je n’ai pas éprouvé pas grand chose… A part un ennui profond et une irrésistible envie de sombrer dans le sommeil, comme mes voisins dans la salle. Donc, désolé pour tous les partisans du cinéaste hongrois, mais j’ai trouvé Le Cheval de Turin assez insupportable, comme j’avais trouvé assez insupportable sa version de L’Homme de Londres. En fait, le style de Béla Tarr, ce n’est pas, mais alors pas du tout ma tasse de thé…
Mais attention, vous aurez noté que pour une fois, j’utilise délibérément le “je” pour rédiger cet article. Ce n’est pas parce que je n’aime pas que le film est mauvais. Je comprends que certaines personnes puissent aimer la beauté – indéniable – de ses images en noir & blanc, de sa musique dissonante, de sa thématique philosophico-existentielle, de son côté radical… Et puis, il faut bien reconnaître que Tarr est un grand cinéaste, qui sait cadrer ses films et user de mouvements de caméra très précis. Ce qui m’ennuie, c’est que cette mise en scène élaborée soit un peu vaine. Je peux admirer la virtuosité technique si elle sert la narration (chez Hitchcock, par exemple) ou qu’elle cherche à en mettre plein la vue, par défi (l’introduction de La Soif du Mal ou le plan-séquence sur la plage de Dunkerque dans Reviens-moi, entre autres), mais là, quel intérêt? A quoi peu bien servir un plan-séquence chiadé dans un espace entièrement clos, avec des mouvements de caméra assez sobres, anti-spectaculaires? Eventuellement à dynamiser un peu une scène, pour éviter d’installer l’ennui qui naîtrait d’un plan fixe où rien ne se passe pendant cinq minutes. Mais alors, c’est raté… On s’emmerde quand même…
Non, autant j’avais trouvé fascinants Les Harmonies Werckmeister, autant ses deux derniers films m’ont semblé faire preuve d’une virtuosité assez vaine.
Surtout, j’avoue que j’ai du mal à comprendre que des gens trouvent génial un film qui les a plongés dans un profond sommeil. C’est quoi le truc? Ils sont insomniaques et ne peuvent trouver le repos que devant certains films “chiants”? Il faudrait peut-être leur dire qu’il existe des médicaments appelés “somnifères” qui ont les mêmes vertus et qui peuvent être remboursés par la sécurité sociale? Ou alors, c’est qu’en dormant, ils rêvent et que leurs songes sont plus captivants que le film qu’ils sont en train de rater?
Bref, ça me dépasse un peu, ça. Je ne comprends pas qu’on puisse accepter de payer le prix relativement élevé d’une place de cinéma et s’endormir devant le film sans être frustré. Et j’aime qu’un film, en plus de me proposer une mise en scène remarquable, me touche, m’émeuve, me fasse réfléchir. Pas qu’il m’ennuie (à moins que ce ne soit le but du réalisateur, évidemment…).
Ah! et quand certains comparent ce film à Ordet de Dreyer, désolé mais ce dernier, bien que lui-même assez contemplatif, est nettement plus passionnant et plus touchant
Béla Tarr a annoncé que Le Cheval de Turin serait son ultime film. Hé bien, franchement, je m’en moque un peu. Car ce qui est sûr, c’est que de mon côté, je n’ai plus trop envie de découvrir ses prochains films – à la rigueur, les anciens, comme Satantango si je me motive pour affronter les 7h30 (oui, vous lisez bien) que dure l’oeuvre… Je le laisse à ses adorateurs, dont la marmotte qui “regardait” le film dans le siège d’à-côté…
Pour conclure, voici quelques conseils fort utiles :
- si vous ne jurez que par le cinéma d’action, évitez soigneusement cette projection et privilégier un autre animal que ce cheval, un Chat Potté…
- si vous voulez aller voir ce film parce qu’on vous a dit que c’est “très beau”, allez plutôt faire un tour à la campagne. En ce moment, vous aurez à peu près le même spectacle : un cheval, des paysans et des feuilles mortes balayées par le vent. Simplement, vous aurez pris un bon bol d’air et vous n’aurez pas eu à supporter les ronflements de votre voisin de salle…
- si vous voulez malgré tout découvrir le film en salle – c’est votre droit – prévoyez une bonne dose de café et la veille, ne veillez pas trop Tarr…
Désolé, j’ai commencé par un jeu de mot foireux et je boucle cette chronique sur un autre jeu de mot foireux. Mais que voulez-vous, pendant 2h20 d’un film chiant comme la pluie, on s’occupe comme on peut…
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Le Cheval de Turin
A Torinói Ló
Réalisateur : Béla Tarr
Avec : Janos Derzsi, Erika Bok, Mihály Kormos, Ricsi
Origine : Hongrie, France, Allemagne, Suisse
Genre : Ennuyeux
Durée : 2h26
Date de sortie France : 30/11/2011
Note pour ce film : ●●●○○○
contrepoint critique chez : Vodkaster
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