Retrouvez l'entretien accordé par François Hollande au Journal du Dimanche le 4 décembre 2011.
Qu’avez-vous pensé du discours de Toulon de Nicolas Sarkozy ?
C’était le propos d’un Président en fin de mandat et d’un candidat en début de campagne, la confusion des genres est la
marque de Nicolas Sarkozy. Le plus grave est ailleurs car le discours de Toulon a été un aveu d’échec et un constat d’impuissance. Après cinq années d’exercice du pouvoir, le chef de l’État en
arrive à constater que les Français ont peur et ne sont plus maîtres de leur destin. Il révèle donc qu’il n’a pas été capable de donner un sens à son action et de susciter la confiance de son
pays. Et que dire de son impuissance? À Toulon, il y a trois ans, il avait prétendu qu’il allait moraliser le capitalisme, soumettre les marchés et refuser l’austérité. À Toulon, jeudi, épisode
II, il admet que la crise est toujours là et s’est même aggravée avec le rôle accru des agences de notation, la circulation frénétique des capitaux, la volatilité des marchés, la fragilité des
États. Il en est réduit à une fuite en avant en proposant un nouveau traité européen. Sa parole s’est épuisée. À trois reprises, il a déclaré que la crise était finie : en mai 2010, après la
défaillance grecque, en juillet 2011, lors de la création du Fonds européen de stabilité financière et en octobre dernier, lors de l’annonce d’une dotation supplémentaire de ce fonds, y compris
avec de l’argent chinois. Nous sommes en décembre et rien n’est réglé.
Le chef de l’État a attaqué la gauche sur les 35 heures, la retraite à 60 ans, que lui
répondez-vous?
Nicolas Sarkozy est au pouvoir depuis dix ans, cinq ans comme ministre et cinq ans comme président, je le lui rappelle car il
semble l’avoir oublié. Rien n’est jamais de sa faute, ni les déficits qui explosent, ni la dette qui est passée de 58% à 88% du PIB en une décennie, 500 milliards de plus sous son seul
quinquennat ; pas d’avantage le chômage qui atteint un niveau historique, pas la croissance qui aura été la plus faible sous son mandat depuis le début de la Ve République. Bref, il s’accorde à
lui-même une totale immunité et renvoie la responsabilité de son impasse du côté de ses lointains prédécesseurs ou de son possible successeur. Curieuse conception de la démocratie! Les 35 heures
c’était il y a douze ans, ce régime a été modifié au moins trois fois depuis 2002 et la défiscalisation des heures supplémentaires opérée en 2007 a fini de les démanteler. Ce n’est pas ce qui
reste des 35 heures, une simple durée légale pour calculer des heures supplémentaires qui explique le déficit record de notre balance commerciale : 75 milliards en 2011 (contre 150 milliards
d’excédents pour l’Allemagne), c’est l’abandon de la politique industrielle et l’incohérence de la politique économique et fiscale de la droite.
Vous êtes dimanche soir à Berlin alors qu’Angela Merkel est lundi à Paris. On est obligé d’aller en Allemagne si on
veut être président ?
L’histoire de la construction européenne est liée à l’efficacité du moteur franco-allemand. Faut-il encore que ce moteur
fonctionne pour avancer et non pour ralentir. L’amitié franco-allemande suppose une relation équilibrée et respectueuse. Aujourd’hui, ce n’est pas tant l’Allemagne qui est forte car elle connaît
aussi une dette importante que la France qui est faible car elle est mal gérée depuis cinq ans. Nicolas Sarkozy, y compris dans sa relation avec Mme Merkel, a toujours alterné le chaud et le
froid. En 2007, nouvellement élu, c’est lui qui a demandé à s’exonérer des disciplines du pacte de stabilité et c’est toujours lui qui, à la fin de son mandat, vient proposer un nouveau carcan.
Au congrès du SPD dont je suis l’invité d’honneur, je vais dire à nos amis allemands que nos itinéraires sont liés mais ne se réduisent pas à nos intérêts particuliers. L’Allemagne ne peut
espérer faire prospérer ses intérêts commerciaux sur une Europe en récession, elle ne peut imaginer une stabilité financière sur le désordre de ses voisins. L’Europe est bien d’avantage qu’une
union monétaire et même budgétaire ; elle est un projet commun, une solidarité, une aventure humaine destinée à nous rendre plus forts dans un cadre démocratique qui doit être exemplaire. De
Gaulle et Adenauer incarnaient l’idée du Marché commun pour dépasser les antagonismes d’hier. Giscard et Schmidt, c’était l’Europe économique. Avec François Mitterrand et Helmut Kohl, c’était
l’idée d’une Europe politique à partir d’une monnaie unique pour réussir à dépasser les craintes que faisaient naître la réunification allemande. Depuis, le projet s’est perdu et la crise de
l’euro en est le révélateur. Un nouveau traité dont le but avoué serait le seul contrôle des budgets et la judiciarisation des sanctions serait voué à l’échec.
Un nouveau traité devrait-il être ratifié par référendum ?
Aujourd’hui, l’Europe a moins besoin d’un traité de plus que d’actions immédiates. J’ai à l’esprit l’expérience du Traité
constitutionnel européen : des mois et des mois pour être négocié, puis pour être ratifié et autant pour être repoussé. Nous ne pouvons pas attendre. Je propose un pacte de responsabilité, de
gouvernance et de croissance. Aujourd’hui, pour lutter contre la crise de l’euro, ce n’est pas l’annonce d’une machinerie qui convaincra les marchés et les citoyens. La confiance peut revenir
rapidement et la spéculation être vaincue si la Banque centrale européenne même dans ses statuts actuels assouplit ses interventions, si le Fonds européen de stabilité financière se transforme en
banque pour venir en soutien des pays les plus vulnérables, si la banque européenne d’investissement engage une politique de grands travaux et si le budget européen dispose des ressources
nouvelles en mettant en place la taxe sur les transactions financières et en lançant les euro-obligations. Tout ça peut être engagé dès demain. Et même sur le contrôle de la politique budgétaire
des États, une procédure existe, elle a été élaborée par la Commission européenne conjointement avec le Parlement européen. Pourquoi faudrait-il l’inclure dans un nouveau traité voire en demander
la constitutionnalisation ou pire encore en demandant à la Cour de justice européenne des sanctions? Je m’y refuse.
Alain Juppé accuse les socialistes de prendre le risque de réveiller les vieux démons de la
germanophobie…
Ne confondons pas les politiques des gouvernements avec les pays eux-mêmes. Mme Merkel est une conservatrice, elle défend une
politique qui demain peut être remplacée par une autre car il y a des élections en Allemagne en septembre 2013. Ensuite, nous devons éviter de part et d’autre des déclarations qui pourraient
donner le sentiment que nous sommes en conflit alors que nous avons des différends qu’il nous appartient de régler dans l’intérêt général de l’Europe. Évitons les phrases qui blessent mais
disons-nous la vérité. Si je suis élu par les Français en mai prochain, Angela Merkel sera mon interlocutrice. J’aurai une légitimité forte donnée par le suffrage qui traduira la volonté du
peuple français de construire avec l’Allemagne un partenariat équilibré dont l’objectif doit être autant la croissance et l’emploi que la nécessaire stabilité financière. Je suis pour des
convergences économiques et politiques mais nos pays n’ont pas les mêmes structures démographiques, sociales et institutionnelles. Ils ne peuvent se confondre. Nicolas Sarkozy a désormais comme
seule vision la copie du modèle d’outre-Rhin sauf d’ailleurs pour le nucléaire. Ce n’est pas ma démarche. Avec nos amis allemands, je ferai prévaloir l’opportunité de projets communs notamment en
matière industrielle et énergétique, j’éviterai de présenter notre relation comme un directoire à deux qui exclurait les autres pays et occulterait les institutions européennes.
Le désendettement est-il la seule voie possible ?
C’est une condition nécessaire dès lors que des États, dont le nôtre à travers des politiques d’allégements d’impôts
inconsidérées, ont laissé les déficits dériver bien au-delà des critères de Maastricht. Le redressement des comptes publics doit être mené. Mais ce n’est pas une condition suffisante car, sans
croissance, le simple ajustement budgétaire n’atteindrait aucun des résultats escomptés. Les marchés eux-mêmes n’y croient plus, ils s’inquiètent de la récession. Ma stratégie, c’est la
responsabilité dans la gestion et le soutien à l’emploi et au développement économique à l’échelle européenne et nationale. Je veux engager un effort sur la recherche, l’éducation et
l’investissement des entreprises. L’austérité n’est pas ma politique ; la baisse indifférenciée de tous les budgets, l’instabilité fiscale permanente – 35 taxes ont été créées depuis l’élection
de Nicolas Sarkozy –, les cadeaux fiscaux aux plus privilégiés ; ce bricolage, cette improvisation, cette injustice, ça ne marche pas!
Nucléaire, suppression du droit de veto à l’ONU, élection de maires étrangers... la droite tape durement sur vous.
Que répondez-vous ?
La droite sait taper sur les Français surtout, mais sur moi, en l’occurrence, elle tape à côté. Le candidat sortant est
toujours dans la caricature, pas seulement de lui-même mais des autres. Ma position sur le nucléaire est celle qui prépare la mutation sur vingt ans, en diminuant sa part dans la production
d’électricité de 75 à 50% d’ici à 2025, en améliorant notre efficacité énergétique par la diversification de nos sources d’énergie tout en maintenant un haut niveau d’activité pour l’industrie
nucléaire. Nicolas Sarkozy pense qu’il est possible de prolonger le passé alors que la responsabilité d’un chef de l’État, c’est de réussir la transition vers l’avenir. Quant au siège français à
l’ONU, c’est un chiffon que la droite agite à partir de l’accord PS-EELV qui imagine à très long terme une réforme de la gouvernance mondiale. Il n’est pas question pour moi de mettre en cause le
droit de veto et le siège de la France au conseil de sécurité de l’ONU. C’est clair une fois pour toutes! Cela évitera à Nicolas Sarkozy de répéter cette fable. À Toulon, il n’a parlé que des
peurs pour les déplorer tout en les agitant. Ce sera sa thématique de campagne comme pour mieux prétendre que sa seule présence pourrait les conjurer. Je ne crois pas un seul instant que celui
qui a tant déstabilisé les Français pourra demain les rassurer et celui qui les a divisés pendant cinq ans les rassembler. À l’inverse, je veux être le candidat de la réconciliation et de
l’apaisement. C’est ainsi que je réussirai le changement!
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