Il existe quelques difficultés à interpréter les conséquences du nouveau régime numérique de production des images. Nous ne parlons pas ici de la reproductibilité du numérique, mais de sa variabilité. Il devient possible de produire des agencements d’images et de médias qui sont variables, c’est-à-dire une déconnexion entre le temps de la production et le temps de la perception. En ce sens, l’inscription fait défaut, l’inscription au sens de ce qui joint sur une surface déterminée l’intention d’un producteur (artiste) et la sensibilité d’un récepteur (public).
On pourrait rapprocher cela des représentations théâtrale ou musicale: le texte ou la partition ne règlent pas de façon pleine et entière le moment de l’interprétation et de la perception. Ce dernier moment est justement fonction de la dérive par rapport au premier. Mais ce qui change avec le numérique est la mécanisation de l’interprétation, non au sens de l’herméneutique mais au sens précité de la lecture d’un texte. L’artiste produit un programme qui est interprété, c’est-à-dire joué, par un ordinateur. Le résultat de ce qu’il joue est en partie imprévisible quant à son ordre (aléatoire séquentiel) mais aussi quant à sa qualité (tra(ns)duction). Pourtant le jeu est exact, il est numérique.
Quelle place, cette lecture-jeu laisse-t-elle donc à cette autre lecture, herméneutique et esthétique, de la part du spectateur? Cette seconde lecture n’est-elle pas indubitablement modifiée par l’apparition de cette lecture antérieure qui lui donne à percevoir ce qui sinon resterait invisible (le programme)? Quelle est donc l’influence réciproques de ces deux lectures qu’il faut certes distinguer mais dont on ne saurait sous-estimer l’articulation? Et quelle influence sur la visée même de l’artiste qui élabore un projet, qui s’y jette?
La compréhension populaire de l’art a été fondée sur une certaine relation entre production/inscription/perception. Cette relation a une histoire, elle a eu un début, elle a subit des changements, elle aura une fin. Tout le régime de l’intentionnalité artistique, qu’on a beau critiquer à la suite de Barthes, de Blanchot et d’autres, n’est pas pour autant terminé. Des questions aussi naïves que: Que veut dire l’artiste? Quelle est son intention? Est-ce que je comprend ce qu’il a voulu dire? N’ont peut-être plus le succès d’antan mais imprègnent encore nos raisonnements esthétiques. Il existe deux morts de l’auteur: une mort interprétative, nommons-la déconstruction, fondée sur le corps du texte. Et une mort technologique, la disjonction entre l’écriture, l’inscription, la perception. L’accord des trois n’est plus même pensable. Il y a des trous et des lacunes entre eux et c’est justement en fonction de ces gaps que quelque chose se donne à percevoir.