La notion d’indépendance en art est héritée du cinéma. Elle fait référence à des modalités de production économique et au travail d’écriture. En ce sens, le cinéma indépendant semble lier deux éléments hétérogènes, mais ils ne le sont qu’en apparence. Pour qui a compris la réification de la culture décrite par Horkeimer et Adorno dans La dialectique de la raison, la manière dont est produit une “oeuvre” induit une manière de l’écrire. Il n’y a pas d’indépendance entre les deux, une chronologie allant de l’écriture scénaristique à la production matérielle du film mais un lien inextricable.
On peut élargir de façon fructueuse, ce concept d’indépendance aux arts médiatiques et visuels afin de répondre à certaines problématiques actuelles. De façon régulière on s’interroge sur le financement des arts, interrogation qui est toujours présentée comme un acte de survie, véritable dramatisation permettant d’oublier sa répétition. C’est ce qui se passe actuellement en France avec les ECM, mais assurément dans quelques mois, dans quelques années ce sera “autre chose”, c’est-à-dire la “même chose”.
Le débat se fixe sur les sources de financement. Beaucoup pensent qu’être de gauche se définirait comme une posture défendant le financement par l’État de la culture, quant à la droite elle prônerait un financement privé. La première solution releverait de la politique publique, du bien publique garant d’un partage démocratique. La seconde, aux yeux de la première, aurait comme résultat de ne produire qu’un mauvais goût valorisant les formes de création les plus réactionnaires destinées à une élite économique.
Le tableau ainsi dressé est manichéen, car il occulte les expériences menées au XXème siècle de culture entièrement financée par l’État. Les résultats, on le sait, furent plus encore normatifs qu’une culture financée de façon privée. L’État n’est en rien garant du bien publique, la démocratie représentative est une délégation à répétition qui finie par priver les délégants de ce qu’ils délèguent.
L’État est une administration dont la normativité est plus grande encore que le marché privé parce qu’il est moins diversifié. Toute organisation étatique est pyramidale à des degrés divers. Cette structure garantie une cohérence de l’identité étatique et a donc comme conséquence dans le champ du financement culturel une très grande standardisation des choix: si on ne plaît pas à un représentant d’un ministère, il y a de forte chance que cette situation se répande à l’ensemble des interlocuteurs, si ce n’est que pour des raisons de relation professionnelle (ne pas mettre en cause son collègue). Le marché privé est quant à lui moins cohérent: un collectionneur ne représente que lui-même, même si ses choix sont déterminés par un contexte médiatique et culturel (lectures, conseils, autorités diverses). Quand on déplaît à un collectionneur, il y en a beaucoup d’autres.
Une autre conséquence du financement publique est la fonctionnarisation des artistes. Ces derniers doivent remplir des dossiers pour être financés. Ces dossiers sont présentés à des dates définies par l’État. Le désir de réalisation d’un projet artistique est donc suspendu à l’emploi du temps administratif. Or il n’est pas assuré que ces deux temporalités soient compatibles et il faut bien remarquer en ce cas que c’est l’agenda étatique qui prime sur celui artistique qui doit s’adapter. En ce sens la boîte permettant d’accueillir l’objet définie la forme de ce dernier. On reconnaît la réification de la culture.
Comment dans ce contexte rester indépendant, c’est-à-dire pouvoir définir son propre agenda de production et de création, rester proche de son désir, de sa pulsion, des silhouettes qui doivent prendre forme? La dépendance des artistes par rapport aux structures de pouvoir s’accroît. Sans doute la solution est-elle à chercher dans les multiplicités des sources de financement et production. Il ne s’agit pas de préférer un modèle plutôt qu’un autre (car quelqu’il soit, il aurait en étant ainsi choisi idéologiquement, des conséquences passives sur ce qui est fait), mais de multiplier ceux-ci pour obtenir le plus grand nombre de partenaires possibles. Cette multiplication est un flux sans doute plus proche du rythme de production du sensible.