Islam et Révolution

Publié le 03 décembre 2011 par Egea

Beaucoup de commentateurs s'inquiètent de la montée de l'islam politique dans la rive sud de la Méditerranée, à la suite du "printemps arabe". Un peu de comparaison historique aiderait peut-être à comprendre le mouvement en cours.

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1/ De ce point de vue, l'expérience française est utile. En effet, nous ne voyons que notre laïcité, sans voir que la culture politique française est le confluent de deux sources, une royale, l'autre républicaine. L'une catholique, l'autre non (agnostique ou athée, selon). La France passa le XIX° siècle et une partie du XX° à inventer le modèle politique permettant de réunir ces deux sources. On inventa le mot "laïcité", étendard de cette transaction, sans voir d'ailleurs à quel point les laïcistes récupéraient un mot venant du vocabulaire de l’Église.

2/ Mais les révolutionnaires, ou républicains, eurent le sentiment de devoir en permanence lutter contre la "Tradition" : c'était elle l'entrave, et eux étaient le mouvement. Or, nous comprenons les autres révolutions selon ce schéma : 1830, 1848, 1871, 1917, 1949 :en France, en Russie, en Chine, la révolution est forcément "laïque" et progressiste. Ce qui nous empêche de comprendre ce qui se passe dans le Maghreb car nous croyons qu'il devrait en être de même. Selon nous, une révolution est forcément "laïque" et démocratique

3/ A-t-on remarqué que tous les partis islamistes ont le mot "justice" dans leur intitulé ? Et que rares sont les partis qui revendiquent le mot de démocratie. Les révolutions arabes se font d'abord contre la corruption : là est le ressort fondamental de la réunion de la société contre les régimes en place. Mais les islamistes ont un avantage: cela fait dix ans, quinze ou trente qu'ils s'élèvent contre lesdits régimes. Or, ceux-ci n'ont eu de cesse de se présenter comme progressistes et démocratiques. Ainsi s'explique le succès des islamistes : ils sont "intègres" puisqu'ils ont lutté depuis "toujours" (ou du moins, depuis mémoire d'homme puisque sous l'effet de la transition démographique, plus de la moitié de la population a moins de vingt ans).

4/ Cette question de génération est d’ailleurs importante, puisqu'elle relativise la notion de "tradition" telle qu'on l'entend si souvent en Occident. Or, comme en Occident, la Tradition constitue une réinvention permanente,et donc une création. Par là, elle est l'effet de la modernité.

5/ Par conséquent, le rapport à la révolution est inversé : au fond, il faut se séparer d'un régime oppressant qui se présentait "progressiste" : la libération passe par l'opposé de ce modèle. L'aile marchante de la révolution est donc "religieuse". Elle mettra du temps à se réconcilier avec l'autre face qui l'équilibrera, l'agnostique ou laïque. Il y aura convergence, mais selon un chemin différent du nôtre.

6/ On peut juste espérer que l'équilibre sera atteint plus rapidement, et en évitant les épisodes et les à-coups de notre propre chemin. Même s'il est plausible que cela passe par des oppressions : de ce point de vue, l'expérience iranienne de la "révolution islamique" n'est pas des plus rassurantes. Mais le pire n'est pas toujours sûr, et on ne peut qu'être surpris par l'ouverture en cours en Birmanie, régime le plus fermé de la planète il y a encore trois ans.

O. Kempf