Etait-il nécessaire d’aller si loin dans l’horreur?
Avec Désolations, David Vann m’avait conquise, subjuguée, remuée, enthousiasmée, émerveillée… en un mot, cet homme à la personnalité aussi lumineuse que ses romans sont sombres avait fait de moi un disciple fidèle, prêt à le suivre au bout de ses écrits les plus apocalyptiques et les plus torturés. J’étais loin d’imaginer ce qui m’attendait.
RÉSUMÉ :
Jim emmène son fils de 13 ans, Roy, passer un an sur une île déserte d’Alaska. Ils y vivront en totale autarcie, avec pour seules ressources celles qu’offre la nature, et pour seul objectif celui de ressouder leurs liens qui se distendent. La réalité va rapidement rattraper les deux hommes, dépassés par les évènements et par la folie qui s’empare de l’un d’eux.
MON AVIS : un livre terrifiant, sordide, presque diabolique.
Lors d’une belle interview au Magazine Standard, David Vann mettait le lecteur en garde : “[mes romans sont] des monstres qui m’horrifient, dotés d’une puissance sur laquelle je n’ai aucun contrôle”. L’auteur ne ment pas, en témoigne ce roman terrible qui débute pourtant sous les meilleurs auspices : un huit-clos entre un père et son fils, un adulte lâche, complètement névrosé, au bord de la folie, un adolescent désemparé et apeuré qui ne sait pas comment échapper à une situation qui le dépasse.
Construire un roman autour de deux personnages peut sembler risqué, mais David Vann relève magistralement ce défi. Sous sa plume, la nature, la cabane, les animaux prennent vie et peuplent le récit tout autant que les deux hommes qui viennent coloniser cette faune et cette flore hostiles. Autant le savoir, l’auteur projette son histoire personnelle émaillée de drames dans ses romans, et les relations qu’entretiennent Roy et Jim sont criantes de vérité. Hormis les liens du sang, ils ont tout d’un étranger l’un pour l’autre, et se retrouver sur une île, durant de nombreux mois semble une vaine et pathétique tentative de rapprochement à laquelle aucun des deux ne croit vraiment.
Ce qui se joue dans ce roman est inimaginable et indicible. Le récit s’enfonce subitement dans une horreur absolue, où la folie la plus terrifiante le dispute à des situations absurdes qui seraient cocasses, n’était le style hyperréaliste de l’écrivain qui empêche toute prise de distance par rapport au texte : David Vann fait montre d’un singulier manque de pudeur et de subtilité dans la narration de certains passages. Il réalise toutefois un coup de maître : on referme ce roman terrassé, abasourdi, nauséeux, obsédé par des images monstrueuses et répugnantes.
D’autres avis : Hélène (Lecturissime), Le grenier de Choco, Val, Liliba, Clara, Leiloona…
JE VOUS LE CONSEILLE SI…
… la lecture de Rien ne s’oppose à la nuit, de Delphine de Vigan, vous a laissé de marbre. Ah, vous êtes de cette veine-là? Attaquez-vous donc à Sukkwan Island, vous m’en direz des nouvelles.
… vous avez aimé Into the Wild : les grands espaces, un homme seul dans une nature vierge et sauvage… Sukkwan Island vous immergera immédiatement dans cet univers presque fantasmagorique d’une nature encore inapprivoisée.
EXTRAITS :
Des passages très durs au cours desquels David Vann dépeint la peur et le désarroi d’un adolescent face à un père qui perd le contrôle de lui-même:
Cette nuit-là, tard, son père pleura de nouveau. Il parlait tout seul en de petits chuchotis qui ressemblaient à des gémissements, et Roy ne comprenait pas ce qu’il disait, pas plus qu’il ne saisissait l’ampleur de sa douleur ni son origine. Les phrases que prononçait son père le faisaient pleurer de plus belle, comme s’il s’y obligeait lui-même. Il se calmait un instant, se racontait quelque chose et recommençait à gémir et à sangloter. Roy ne voulait pas l’entendre. Il était effrayé et déstabilisé, et il n’avait aucun moyen d’en parler, ni la nuit ni le jour. Il fut incapable de trouver le sommeil avant que son père ne se soit tu et endormi.
VOUS AIMEREZ PEUT-ÊTRE :
Si par hasard vous ne l’aviez pas encore lu : un véritable coup de cœur! Parce qu’il faut se détendre un peu après une telle lecture
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