Les profiteurs canadiens de la guerre et la violence en Amérique Centrale

Publié le 03 décembre 2011 par Espritvagabond
JQSI: un retour
Il y a quelques semaines, j'ai assisté à la projection d'un film, dans le cadre des Journées Québécoises de Solidarité Internationale. Je vous avait déjà parlé de ces journées, après avoir assisté la conférence d'ouverture. Si je reviens sur l'événement, c'est que le sujet est non seulement important à mes yeux, mais aussi directement relié à mon séjour au Guatemala il y a deux ans, ainsi qu'à plusieurs articles que j'ai publié lors de ce séjour ou immédiatement après (*).
Et puis, on ne sera jamais assez nombreux à dénoncer les pratiques canadiennes dans les pays latino-américains, alors je profite de cette soirée et de ce film pour propager l'information et vous informer au passage des actions de votre pays ailleurs dans le monde.
L'or ou la vie
Le film en question s'intitule El oro o la vida - ReColonización y Resistencia en Centro América ("L'or ou la vie - Recolonisation et résistance en Amérique centrale"), et c'est un documentaire d'Álvaro Revenga réalisé en 2011. (Suivez ces liens pour visionner trois des bandes-annonces du film). La projection et la discussion était organisée par l'organisme PAQG: Projet Accompagnement Québec-Guatemala, dont j'avais rencontré deux coopérants lors de mon passage au Guate.
Pendant la projection - et au cours de la discussion qui a suivi  - on apprend entre autres que la Commission Interaméricaine des droits humains a exigé de la compagnie canadienne Goldcorp qu'elle cesse ses activités à la mine Marlin au Guatemala (dossier dont j'avais traité lors de mon séjour). On ne s'étonne pas que la compagnie ne se soit pas soumise à l'exigence de la Commission et continuent d'exploiter la mine. Le Canada est pourtant membre signataire de l'OEA mais le gouvernement canadien refuse toujours de s'impliquer pour contrôler les compagnies canadiennes à l'étranger, même quand celles-ci violent les droits humains.
Étrangement, c'est du côté américain que la seule réprimande (indirecte) est venue; le 19 septembre 2011, Goldcorp a été retirée de l'indice de développement durable du Dow Jones. Malgré cela, la compagnie canadienne continue de se vanter de son inclusion à cet index et à celui du Nasdaq en 2010 sur son site web, de même qu'elle continue à vanter sa haute performance éthique et environnementale. Mining Watch rapporte toutefois que les dommages causées par la minière canadienne au Guatemala sont graves et ont des impacts à très long terme: "International scientific studies indicate that surface water depletion in the area of the mine may be drawing arsenic-rich groundwater to the surface, and preliminary research shows that people living closest to the mine have elevated levels of lead in their blood and arsenic in their urine".
La discussion nous apprend que les minières continuent à nier les conclusions des analyses scientifiques indépendantes et donne l'exemple de la compagnie Barrick Gold, une professionnelle de la poursuite, qui a poursuivi une ONG en Argentine, après qu'elle ait fait des études sur de l'eau contaminée à l'arsenic, afin d'en empêcher la publication des résultats.
Le film explique que loin de respecter les droits humains et l'environnement dans l'exploitation des mines, Goldcorp a même fait émettre des mandats d'arrêt contre les gens qui se plaignent de la présence des compagnies minières (quand ces gens-là ne disparaissent pas complètement de l'équation dans des circonstances inexplicables).
Les exploiteurs et les financiers
L'introduction du film le démontre clairement; le lien qui uni cette violation des droits humains au milieu de la finance, via les bourses et les grandes banques est fort. On rappelle qu'avec la crise financière et économique, le prix de l'or a atteint des sommets historiques, donnant encore plus de pouvoir aux compagnies minières, et faisant grimer en flèche leurs valeurs boursières.
On mentionne également que certains projets "sociaux" de Goldcorp, qui se vante de cette politique sur son site web et dans ses rapports annuels, ont même été financés par des programmes du FMI, de la Banque Mondiale ou de la Banque Interaméricaine de développement sous le prétexte du financement de projets de développement humanitaires, un comble qui démontre un cynisme incroyable de la part de ces compagnies!
Car quand on parle de projets de développements sociaux par ces compagnies, il faut comprendre que l'on parle d'impression de livres d'école, par exemple, où les textes sont remplis de propagande pro-industrie minière, que quand on parle de projets environnementaux, on parle d'installation de poubelles dans les villages, poubelles munies d'un beau gros logo de la compagnie, et que quand on parle de développement, on parle de routes qui servent uniquement au transport lourd du minerai extrait et dont la collectivité n'a pas besoin. (Pensez nouvelle route 167 du plan nord chez nous alors que plusieurs de nos routes utiles tombent en ruine et vous comprendrez le pouvoir des minières).
On effectue enfin un rappel historique, par l'exemple du Honduras, qui après le passage de l'ouragan Mitch, voulait favoriser l'investissement (tiens, notre discours du Plan Nord qui fait écho encore). Pour ce faire, le pays a signé des contrats avec des minières, autorisant l'utilisation illimité de l'eau de même que les expropriations forcées sans compensation. Goldcorp a été la première compagnie à s'y installer dans ces conditions.
Ils savent que ça vient du Canada
La partie du film consacré à la résistance locale est très émouvante pour qui a déjà voyagé au Guatemala et rencontré les guatémaltèques. On y présente la campagne référendaire qui a été organisée dans un village maya près de Xela, où j'ai justement habité pendant plusieurs semaines à l'hiver 2009-2010. Le référendum portait sur l'exploitation d'une nouvelle mine juste à côté du village. L'argument de la création d'emplois et de la création de richesse (que l'on entend également ici) était le principal argument des pro-mines. Sur les 5383 votants, 5343 ont dit non à la mine, 29 se sont abstenus, et 11 personnes se sont montrés favorables à la mine. Le film montre comment les gens sont au courant des dommages qui leurs sont faits par les compagnies minières, on y voit des gens qui se demandent pourquoi le Canada leur fait ça, pourquoi on s'attaque à leurs maisons, leur environnement et leurs leaders. Ils dénoncent la violence, l'intimidation dont ils font l'objet, les problèmes de santé causés par les mines dans les autres villages, les problèmes écologiques qui découlent de la pollution de l'eau à grande échelle, la destruction de leurs maisons. Ils savent.
La discussion s'est poursuivie longtemps après la présentation. Certains ont évoqués le problème nouveau qui apparaît dans les "fonds éthiques", puisque le cas de Goldcorp, qui avait été intégré au prestigieux indice de développement durable du Dow Jones est loin d'être unique. J'ai appris que chez Desjardins, par exemple, pour faire partie de leur fond éthique, il suffit que la compagnie se dote d'une politique concernant l'éthique. Ça n'a pas été long que les minières ont appris comment se faufiler dans ces fonds, sans que les gestionnaires de portefeuille ou les petits investisseurs ne puissent s'en rendre compte. Faite le test de demander à votre courtier dans quoi investissent les fonds communs, même éthiques, et il aura bien de la difficulté à retracer les détails de ces investissements.
Ailleurs en Amérique Centrale
La discussion s'est aussi ouverte à d'autres organismes présents à la soirée, et qui eux aussi, mènent un combat similaire un peu partout sur la planète.
Je retiens la présence du PASC, le Programme Accompagnement Solidarité Colombie, puisque l'organisme se consacre au même problème de violations de droits humains par des compagnies canadiennes, mais en Colombie. Ils n'hésitent d'ailleurs pas à dénoncer Goldcorp, qu'ils qualifient carrément de "sale profiteur", dans  un article-choc.
Dans le dernier numéro de leur journal, La piedra en el zapato ("Le caillou dans le soulier"), l'organisme s'attaque aux profiteurs canadiens de la guerre en Colombie, et s'attaque à l'appui inconditionnel qu'ils reçoivent du gouvernement canadien.
« Notre » agence canadienne de développement international (ACDI) s’y implique pour modifier les cadres législatifs en faveur des entreprises étrangères, « notre » gouvernement conservateur signe un accord de libre-échange pour dorer l’image d’un État paramilitaire et le couvrir du sceau démocratique, « nos » entreprises (surtout minières et pétrolières) y revendiquent la « sécurité de leurs investissements » qui se traduit par des brigades militaires chargées de la protection des mines et des oléoducs et par des troupes paramilitaires qui « nettoient » les territoires (massacres et déplacements forcés) et assassinent les leaders syndicaux, tandis que « notre » production agricole y est écoulée à bas prix détruisant l’économie paysanne.--
Images: El oro o la vida et La Piedra en el zapato.
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(*) Pour ceux qui découvrent ce dossier sur mon blogue avec ce billet, j'ai intégré un nouvel étiquette consacré à ce dossier et regroupant tous les articles qui y sont consacrés.
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