C'est la consternation
Une bombe nucléaire a été lâchée sur Lanaudière, croit Éric Charlemagne, employé depuis 13 ans à l'usine. «Maintenant, tout est contaminé», dit-il.
Depuis, une étrange agonie a commencé. Les employés savent que les jours de l'usine sont comptés. Mais ils ignorent encore quand auront lieu les premiers licenciements. Pire: l'usine continue à tourner. Les carnets de commandes sont pleins, la productivité augmente et les contraintes autour de la sécurité aussi.
Mais le désespoir est là. Depuis l'annonce de la fermeture, huit employés ont tenté de se suicider, selon le syndicat et les pouvoirs publics locaux. La situation est devenue suffisamment préoccupante pour que le CSSS de Lanaudière décide de dépêcher une travailleuse sociale à l'usine, deux jours par semaine, depuis le début du mois d'octobre.
Après des négociations serrées, la direction a accepté que le bureau de cette travailleuse sociale soit dans l'enceinte de l'usine et que les employés la consultent pendant leurs heures de travail.
«La direction de l'usine est en théorie coopérative, mais elle pose des contraintes. On peut comprendre, car le but d'une usine est de produire, mais si les employés se suicident, ce n'est pas bon non plus pour les chaînes de montage. Il y a un manque de vision des gestionnaires», estime le député péquiste de L'Assomption, Scott McKay.
Avec une masse salariale de 45 millions et des revenus annuels de 60 millions pour la sous-traitance locale, l'usine Electrolux est une clé de voûte de l'économie dans la région de Lanaudière. Si la délocalisation du deuxième employeur de la région a choqué les 1300 travailleurs de l'usine, elle a aussi pris de court les élus locaux, qui n'avaient pas vu venir un tel scénario.
«On parle d'une classe moyenne, qui gagne 40 000$ par année. Sur 1300 employés, il y en a 20% qui vont être à la porte de la retraite, 20% de plus jeunes qui peuvent se réorienter plus facilement. Les 60% restants, c'est le groupe difficile des 40-55 ans», explique Stéphane Paré, directeur des services aux entreprises et commissaire au développement économique de la MRC de L'Assomption.
Au pied du mur, les intervenants sociaux et politiques de la région préparent le reclassement des employés; cours du soir, formations, information sur l'entrepreneuriat. Un «guide de l'aidant» distribué jusque dans les tavernes et le supermarché de la ville vise à repérer les tendances suicidaires de certains travailleurs et à les prévenir. Enfin, une firme de consultants a été recrutée pour accompagner les sous-traitants dans leur recherche de nouveaux marchés.
Le pire reste toutefois à venir. «Chaque jour, je trouve ça plus dur. Et on n'est pas dans la période où il y a des licenciements. On ne sait même pas ce que ça va être», craint Stéphane Paré.
Ginette Paquin est entrée chez Electrolux il y a 12 ans. «Moi, je fais partie de ceux qui vont avoir beaucoup de difficulté à se replacer», dit-elle. Elle énumère son âge, 52 ans, et ses problèmes de santé, les complications découlant d'un AVC. Elle s'interroge. «Qui va embaucher quelqu'un comme moi?»
En attendant d'affronter le chômage et de se lancer dans la quête, qu'elle croit vouée à l'échec, d'un nouvel employeur, Ginette Paquin espère étirer le plus longtemps possible son sursis à Electrolux.
Le syndicat reconnaît les efforts mis par la MRC pour aider les employés à faire face à la situation. «Mais de là à dire qu'on est satisfaits...», dit Dominic Durand, président d'atelier de la section locale 1148 du syndicat des machinistes.
Certains syndiqués regrettent de devoir attendre le licenciement, et le chômage, pour avoir le soutien d'Emploi-Québec pour se reconvertir. D'autres aimeraient se voir proposer d'autres pistes que les mines du Plan Nord pour leur reclassement.
On croit aussi que le gouvernement «n'a pas mis ses culottes» pour garder Electrolux.
À L'Assomption, Memphis a maintenant mauvaise réputation. «C'est sûr que dans ce temps-ci, ça ne nous donne pas le goût d'aller voir la maison d'Elvis», illustre Robert Rivard, employé de l'usine depuis 33 ans.
Mais les ouvriers savent aussi que les dés étaient pipés et que la décision d'Electrolux, prise au terme d'intenses négociations avec Memphis, était déjà irrévocable quand elle leur a été annoncée.
«On a demandé ce qu'on pouvait faire. On a tout essayé. Mais il n'y avait rien à faire du tout. C'est ça, la dure réalité», lâche Dominic Durand.
Electrolux «impressionnée» par le travail de ses employés de L'Assomption
Electrolux n'a pas souhaité rencontrer La Presse à Memphis. Mais la porte-parole du numéro 2 mondial de l'électroménager a bien voulu répondre à quelques questions, qui lui ont été adressées en anglais et par courriel.
«La production continue à L'Assomption et nous sommes toujours impressionnés par le dévouement et le professionnalisme de nos employés», écrit Caryn Klebba. L'arrêt complet des opérations à L'Assomption est prévu pour 2014, un an plus tard que ce qui a d'abord été annoncé. Les premiers licenciements auront lieu six mois plus tôt. Quelque 200 employés ont quitté l'usine de Lanaudière depuis que la fermeture est connue. Tous ont été remplacés. «Il est important de noter que notre industrie voit les fluctuations de sa main-d'oeuvre comme une réponse à nos besoins, ce n'est pas inhabituel d'ajuster notre personnel en conséquence», précise Mme Klebba. Quant aux huit tentatives de suicide, Caryn Klebba répond qu'Electrolux ne commente pas les «rumeurs et spéculations».
Source : Cyberpresse