J’ai la réputation d’être tête en l’air. Ce n’est même pas une réputation, c’est une vérité et un constat quotidien. Si je ne fais pas les choses dans l’instant, alors les minutes, les heures, les jours s’égrènent et je me réveille trop tard pour constater que quelque chose m’échappé. Je suis obligé de m’envoyer des mails pour penser à ne pas oublier. Si j’ai une attention aussi défaillante, c’est peut-être parce qu’en matière de cinéma, au contraire, je n’ai pas pour habitude de laisser mon attention défaillir. Un coup d’œil au Pariscope le mercredi, et je garde en mémoire sans trop de difficulté dans quelles salles et à quels horaires passent tous les films qui m’intéressent. Un acteur de troisième plan qui passe à l’écran, et je me souviens vite dans quels autres films je l’ai vu. Cela peut même aller jusqu’à me souvenir au jour près de dates de sorties de films remontant à 12 ou 15 ans. C’est mon côté freak.
Pourtant cette semaine je n’ai pas assuré. Ma mémoire a failli dans les largeurs. Voilà des semaines que je guettais du coin de l’œil le Festival Kinotayo à la Maison de la Culture du Japon à Paris. Un festival de films japonais récents dont la réputation n’est pas la plus étincelante de la capitale mais qui permet tout de même de découvrir des inédits parfois alléchants. Avant que je me penche en détail sur les films projetés, j’avais immédiatement repéré dans le programme Guilty of Romance de Sono Sion, que je n’avais pas pu voir à l’Étrange Festival en septembre (contrairement à Cold Fish) et que je comptais d’autant plus rattraper lors de Kinotayo que le réalisateur et son actrice Megumi Kagurazaka étaient annoncés présents aux projections
Lorsque je me suis enfin penché sur le reste de la programmation, j’ai sélectionné une demi-douzaine de films que j’étais en mesure de voir malgré mon retard. Chaque soir, je me suis trouvé une excuse pour finalement ne pas y aller. De mauvaises critiques, d’autres choses à voir, une grande fatigue, toutes les excuses ont été bonnes pour finalement ne pas me déplacer jusqu’à Bir-Hakeim et tous les rater. Sauf Guilty of Romance. Il était hors de question de le rater celui-là, même si Cold Fish avait été loin de m’emballer à l’Étrange. La première des deux projections qui étaient à ma portée, je l’ai sciemment ratée. J’avais entendu dire que les projections en présence de Sono Sion étaient blindées à la MCJP, et il n’en fallu pas plus pour me décourager de faire le pied de grue pour ne pas être assuré d’entrer en salles. La solution me tendait les bras : la dernière projection du film, hors les murs de la MCJP.
J’étais persuadé que peu de spectateurs étaient au courant que certains films du festival étaient également projetés au cinéma La Clef dans le Quartier Latin, dont Guilty of Romance. Surtout, si Sono Sion n’était en revanche pas annoncé présent à cette séance, la délicieuse Megumi Kagurazaka l’était, elle. Finalement, après être déjà passé par Cannes en mai (à la Quinzaine des Réalisateurs), au Forum des Images une première fois en juin pour la reprise des films de la Quinzaine, puis une seconde fois en septembre pour l’Étrange Festival, et enfin quelques jours plus tôt à la Maison de la Culture du Japon de Paris… Guilty of Romance attirerait peut-être moins de monde à cette projection plus discrète un lundi à 18h. Certes, Megumi Kagurazaka a certainement assez de fans (autant de sa plastique ravageuse que de ses performances d’actrice) pour remplir une fois de plus une salle de cinéma sur son seul nom… Mais c’était tout de même une belle option pour enfin découvrir Guilty of Romance. C’était lundi dernier à 18h… je m’étais fixé cet objectif le jeudi précédent… puis je n’y ai plus pensé pendant quelques jours… jusqu’au lundi soir en question… aux alentours de 20h.
Je venais alors de rentrer chez moi après être allé voir Le stratège, qui en fin de seconde semaine d’exploitation, était annoncé partant dans la plupart des salles qui le projetait. Un film sur les coulisses d’un club de base-ball, Brad Pitt a beau en être la tête d’affiche, ça ne fait pas un kopeck auprès des spectateurs français. En découvrant que le film risquait de ne plus passer à Paris deux jours plus tard, j’ai paniqué et me suis précipité aux Halles pour le voir, à la séance de 17h ce fameux lundi. Et je n’ai pas regretté un seul instant tant le film, un brillant regard sur les arcanes d’un sport si opaque, éloquent et passionnant, n’est pas un simple film de sport. J’en suis sorti conquis… jusqu’à ce que, arrivé chez moi donc, j’aie un flash. « Mais… mais… on est lundi 28 !! Mais… mais… c’était aujourd’hui la projo de Guilty of Romance !!! NOOOOOOOOOON !!!! C’est pas VRAIIIIIIIIIIIII !! Je l’ai raté !!!! J’ai oubliééééé !!!! Pourquoi je ne suis pas allé voir Le stratège demain !!!??? Je me serais bien tapé la tête contre les murs si je ne tenais pas à celle-ci plus que cela. C’était rageant. Voilà que j’étais mitigé entre mon enthousiasme pour le film de Bennett Miller que je venais de voir et le désespoir d’avoir totalement raté le Sono Sion que je m’étais promis de voir. Et ce n’est pas comme si de toute façon, Guilty of Romance allait sortir en salles dans 3 mois. Les films du japonais ne sortent jamais en salles en France. Jamais.
Heureusement que le film pour lequel j’ai raté ma rencontre avec Megumi Kagurazaka avait la trempe du Stratège, qui n’a pas volé sa belle cote aux États-Unis qui le voit aller tutoyer les Oscars. Bennett Miller et Aaron Sorkin (qui signe le brillant scénario) envoûte par cette belle adéquation d’images et de mots flamboyants. J’ai beau n’y rien comprendre au base-ball, j’ai beau ne pas m’intéresser le moins du monde à comment se gère un club sportif, j’ai eu beau ne pas toujours capter ce qui se tramait à l’écran, il se dégage du film quelque chose d’inhabituel pour un film prenant le sport pour cadre. Il n’y a pas ici de dépassement de soi, d’exaltation sportive ou quoi que ce soit du genre. Mais une passion nourrie d’amertume, une vision mêlant réalisme et romantisme, pas de ce romantisme qui unit les amants, mais celui qui confère une mélancolie aux êtres et à leur approche de la vie. Brad Pitt plutôt que Megumi Kagurazaka, tel fut mon lundi contre mes espérances premières. Je peux me consoler en me disant que si Guilty of Romance vaut Cold Fish, il ne m’aurait pas enthousiasmé. On se console comme on peut.