Un riche tétraplégique s'adjoint les services d'un black de banlieue comme aide à domicile. A la lecture de ce point de départ, on pouvait légitimement s'attendre à tous les clichés découlant de la collision des personnalités de deux protagonistes qu'a priori tout oppose. Car dans le genre buddy movie à la française, le film de Toledano et Nakache a le désavantage de venir après La grande vadrouille, L'emmerdeur, La chèvre, ou plus récemment le carton ch'ti de Danyboon. En gros, après la guerre. Difficile dès lors d'oeuvrer dans l'originalité. Et malgré un premier quart d'heure raté (hors séquence pré-générique sur laquelle nous reviendrons), les deux metteurs en scène réussissent leur pari. Mais les raisons de cette réussite (et du succès du film en salle) ne viennent paradoxalement pas d'où on les attendait.
Le coeur du film commence à émerger dès la scène précédent le générique d'ouverture. Sur une musique de toute beauté de Ludovico Einaudi, ce flash forward nous présente les deux personnages principaux dans une voiture. Ils n'échangent aucun mot. Le personnage de Driss (Omar Sy) jette de temps à autre un regard à Philippe (François Cluzet). La scène, mélancolique, nous fait immédiatement comprendre qu'il y a quelque chose de cassé dans ces personnages, une tristesse latente et palpable. Et la suite de la séquence de basculer dans un humour salvateur qui les sauvera tous deux. Avec cette scène, les deux réalisateurs impriment d'entrée le sujet de leur film: des personnages en proie à une tristesse insondable qui s'évertuent à garder la soif de vivre. Là et là seulement réside la grande force du film, car sans ce substrat dramatique, le long-métrage ne serait qu'une comédie française de plus. Il n'en est bien heureusement rien.
Pourtant, et après l'inepte inscription sur l'écran de la phrase "Inspiré d'une histoire vraie" (comme si le fait que le film s'inspire de la réalité lui donne une plus-value, une légitimité, une raison supplémentaire d'exister), après cette inscription, donc, qui n'apporte strictement rien et qui a le don de m'exaspérer au plus haut point, comme si la fiction ne pouvait se suffir à elle-même, Toledano et Nakache ratent les premiers instants du film. En effet, les vannes sur les handicapés fusent d'entrée, alors même qu'aucun lien profond n'ait pu s'établir entre Driss et Philippe. Les personnages n'ont ainsi pas encore eu le temps d'exister ni de forger un tant soit peu leur relation, que les blagues déboulent, ne provoquant de fait aucun rire puisque l'on n'a pas encore eu le temps de s'attacher à nos personnages qui, eux-mêmes, n'ont pas encore eu le temps de devenir complices. Des gags forcés, donc, qui trouveront cependant par la suite une vraie force et une réelle portée comique dès lors que les protagonistes existeront véritablement.
Passé ce premier quart d'heure, le film prendra enfin son envol, et parviendra à nous toucher par son propos salvateur: la vie à tout prix, envers et contre tout. D'un côté Driss, personnage profondément blessé par la vie et rejeté par sa famille, de l'autre Philippe, milliardaire handicapé et de fait exclu du monde. Mais une volonté commune d'aller de l'avant, de ne pas se vautrer dans la fange de la tristesse, et de faire fi du destin. Ainsi, les plus beaux moments du film (et les plus émouvants) sont ceux dans lesquels l'insondable tristesse des personnages submerge l'écran. Moments toujours muets mais marqués par la sublime composition musicale de Einaudi, ils parviennent, sans un mot, à dresser le portrait intime des protagonistes. Par ailleurs, les nombreux plans filmés face au soleil, dans lesquels les rayons de ces derniers viennent caresser Driss et Philippe, s'inscrivent comme un appel à la vie et une renonciation à la tristesse.
Oeuvre salvatrice dotée d'un humour et de dialogues qui font quasiment toujours mouche, Intouchables résonne jusque dans son titre comme une déclaration d'amour à la vie: en allant vers elle et en refusant la fatalité, rien ne peut vous faire de mal. En réussissant le pari de ne jamais rendre leur film moralisateur mais en choisissant au contraire d'imprimer par touches discrètes et sensibles leur propos, Eric Toledano et Olivier Nakache livrent une oeuvre d'une justesse, d'une émotion et d'un optimisme dont on leur saura longtemps gré.