Système scolaire français vu par un Québécois

Publié le 16 février 2008 par Boothroyd

Ce lieu ne se veut pas juste un catalogue des différentes activités qu'il y a à faire au Québec et à Québec. C'est aussi un lieu pour découvrir l'autre dans sa différence et prendre connaissance de son point de vue. Dans cette logique, je transcris un article d'un étudiant en droit qui a passé une année à Paris dans le cadre d'un échange. En clair, il a fait la même chose que moi mais dans l'autre sens.

Il raconte dans le journal des étudiants de la Faculté de droit de l'Université Laval, le Verdict, son expérience et nous livre ses impressions sur le système "à la française".

Éducation à la française

Par Jean-Benoît Pouliot

Correspondant (de retour) du journal le Verdict à Paris

Etudiant au baccalauréat en 2e année

Après seize semaines à Paris, je suis ravi de retrouver le dynamisme de notre faculté. Cette expérience d'étudier à l'étranger m'a permis de me familiariser avec un système qui diffère à plusieurs égards au nôtre, particulièrement au niveau universitaire. À l'Université René-Descartes, les pavillons éloignés et la vie étudiante plutôt morne m'ont fait comprendre que l'Université Laval se rapproche davantage des campus américains. En fait, j'ai constaté lors de mon séjour notre influence anglo-saxone qui, ma foi, ne me gêne aucunement.

Tout d'abord, il y a la méthode d'enseignement qui, malgré certains ouvrages suggérés au début du semestre, n'implique pas de matériel pédagogique obligatoire. Selon un professeur français interrogé, les lectures préalables et l'enseignement magistral combiné à une légère interaction avec les étudiants relèveraient de la méthode anglo-saxonne. Ainsi, les étudiants français se présentent aux cours pour tout noter de l'interminable exposé du professeur qui ne se soucie guère de l'assistance. Ensuite, seulement les plus courageux, une minorité, opteront pour des lectures complémentaires qui sont, somme toute, nécessaires au cours. Pour les cours fondamentaux, il y a la possibilité de faire des travaux dirigés, c'est-à-dire des séances totalisant quinze heures par semestre qui sont généralement supervisés par un doctorant qui aspire à l'enseignement. Pendant ces périodes, des thèmes de la matière sont approfondis et la charge de travail de l'étudiant est fortement augmentée par la participation obligatoire aux discussions et à la rédaction de nombreuses dissertations juridiques.

Ensuite, je ne peux que vilipender l'évaluation "à la française". À l'Université Laval, il y a ordinairement deux évaluations qui séparent également la matière du semestre tout en permettant à l'étudiant de réaligner son approche du cours selon le résultat obtenu à la mi-session. En règle générale à livre ouvert, les examens en droit sont constitués principalement de cas pratiques qui englobent l'ensemble de la matière à l'étude. À l'Université René-Descartes, dans les semaines suivant la fin des cours théoriques, j'ai subi cinq oraux. Des cas pratiques? Non, quatre dissertations juridiques et un commentaire d'arrêt.

Le déroulement d'un oral est souvent devant témoin, un autre étudiant nerveux, ou bien seul en tête à tête avec le professeur qui impose aléatoirement un sujet précis. Par exemple, en droit du marché intérieur européen, on m'a dit: "Parlez-moi de l'arrêt Cassis de Dijon." Paradoxalement, à notre faculté, nous pouvons lire des jugements entiers sans être questionnés précisément sur les faits, les arguments invoqués par les parties ou l'évolution jurisprudentielle et me voilà interrogé à Paris sur un arrêt dont je n'ai jamais lu une ligne! À titre indicatif, je vous énumère les autres thèmes affrontés: le droit pénal à l'époque franque, la préservation de la faune et de la flore, le régime parlementaire en Europe et la portée de la Convention de Vienne de 1969.

Une fois le sujet déterminé, une préparation de dix minutes est possible à la discrétion du professeur, sinon c'est du direct sur la sellette. Pour un néophyte de cette méthode, l'exercice intellectuel est considérable, car il faut gérer à la fois son stress et puiser dans ses connaissances quelques fois superficielles du sujet. De plus, il faut prendre le contrôle de la discussion, puisque ce n'est pas l'interviewer qui doit être principalement entendu. Cependant, ce dernier prend un malin plaisir à déstabiliser l'étudiant après le premier jet. Ayant déjà une idée de la note, le professeur amène alors l'échange sur des avenues obscures, parfois inexplorées en classe, dans l'objectif de circonscrire le résultat. Inhibé par la nervosité, il faut saisir une perche tendue pour revenir sous les projecteurs, mais il est curieusement impossible de suivre la digression de l'interrogateur qui continue toujours de parler.

A mon humble avis, la méthode d'évaluation est fortement critiquable sur les aspects de l'objectivité et de l'égalité de traitement. De plus, il est difficile de concevoir qu'une épreuve portant sur une partie négligeable de la matière puisse tracer un juste portrait de la maîtrise du cours. Le pouvoir discrétionnaire du professeur est considérable et l'anonymat de l'étudiant dans le processus n'est pas considéré. Par exemple, l'un de mes professeurs avait unilatéralement modifié les évaluations des travaux dirigés, ces derniers formant une note cumulative avec celle du cours magistral, postérieurement à des cas de plagiat tout en affirmant: "J'ai une bonne mémoire des noms. On se retrouvera à l'oral."

Finalement, je tiens à rappeler l'approche de la date limite pour s'inscrire aux échanges internationaux pour l'année prochaine. Etudier le droit en France est un défi formidable qui vaut la peine d'être relevé. À ceux qui sont tentés par l'aventure, je vous encourage à faire les démarches pour plonger dans cette expérience enrichissante qui permet de côtoyer u e autre culture.

Quelques remarques qui ne sont pas de moi puisque je ne connais pas assez le système en droit pour pouvoir avoir un avis pertinent, mais d'un étudiant français en droit en échange à l'Université Laval.

Oui les étudiants français se présentent aux cours pour noter les paroles pleines de vérité du professeur, sans participation. C'est à celui qui aura le poignet le mieux entraîné.

Oui la notation et les épreuves d'oraux sont un défi et l'objectivité de la notation peut laisser songeuse.

Attention, le système de droit du Canada, héritier de celui de la Grande-Bretange basé sur la common-law, n'est pas celui de la France. De fait les arrêts de la Cour de cassation ne sont pas comparables aux arrêts des Cours de droit anglais. Il faut donc savoir les commenter, c'est l'objectif de la deuxième année de droit, alors qu'au Canada, il suffit de les lire pour avoir tous les arguments et tout le raisonnement.

Je peux rajouter en mon nom propre que la différence majeure dans les études peut tenir à la place accordée aux livres concernant une matière. Ici à l'Université Laval, à chaque début de session les étudiants dépensent littéralement une fortune en ouvrages recommandés pour les cours (une fortune, j'insiste!). La philosophie qui sous-tend tout cela est que la vérité se trouve plus dans les livres que dans les paroles des professeurs. Or il me semble qu'en France d'une part des achats aussi important tous les six mois passeraient difficilement et d'autre part il est admis que c'est le professeur qu'on suit plus que des ouvrages théoriques.

Je ne désespère pas d'avoir d'autres points de vue sur nos systèmes scolaires puisqu'on sait qu'un oeil étranger peut relever plus facilement les bizarreries qu'on ne remarque même plus quand on vit dedans.