Magazine Culture
INNI - SIGUR ROS
Vincent Morisset
Je n'ai jamais vraiment aimé les retransmissions de concerts. Ni adoré Sigur Ros d'ailleurs. Pourtant Inni pourrait très bien être un de mes films préférés de l'année, à mi-chemin entre le live, le documentaire, et l'expérimentation artistique. C'est en effet un petit hybride que nous a pondu Vincent Morisset. Mais le canadien n'en est pas à son coup d'essai. Connu notamment pour son travail avec Arcade Fire (Neon Bible, Miroir Noir, The Suburbs), il s'auto-proclamme "web-friendly director" et a en outre créé des projets interactifs comme le chouette Bla Bla - une histoire où l'on s'amuse à faire couiner des petits bonshommes. Soit.
Hier au Fri-Son, on assistait à une soirée pas vraiment cinéma mais pas vraiment concert non plus. L'écran géant et les chaises en plastiques inconfortables étaient bien là, pourtant, on s'était déplacées pour voir les islandais Sigur Ros. Sur une toile blanche, quelle idée. Au moins, il y avait une sono bien réglée et ça tu peux pas test. Après une intro tout en motifs noir/blancs pas très bien définis ainsi que des détails mignons à la pelle - chaussettes à pois, plumes sur la nuque de Jonsi, couronne nouée sur la tête de Orri - on avait déjà envie de se lever et d'applaudir comme si le groupe s'était soudain matérialisé devant nous. Mais non. Et puis les premières notes mi-cristallines/mi-sous-marines de "Svefn-g-englar" ("Somanbules" en français. Pas facile.) chatouillaient déjà nos oreilles. De quoi s'enfoncer d'aise dans son pseudo-siège.
Svefn-g-englar (Ágætis Byrjun, 1999)
La suite de la "setlist" de Inni privilégie surtout les deux albums les plus récents (Takk et Með suð í eyrum við spilum endalaust). Normal, étant donné que les séquences de concert ont été filmées sur deux soirs (20 et 21 Novembre 2008) à l'Alexandra Palace à Londres. Dates qui marquaient la fin de la tournée de Með suð í eyrum við spilum endalaust d'une part, et signifiaient également l'arrêt du groupe pour une durée indéterminée. Lesdites séquences ne ressemblent pas vraiment à un enregistrement conventionnel de concert. Au contraire, elles cadrent des bouts de doigt, une tête perdue dans une immense surface de fumée blanche, une langue qui passe des lèvres, un archet sur des cordes, un flash qui se reflète brutalement sur une cymbale et une multitude de claviers... Chaque petit élément, capturé avec sensibilité donne l'impression de plonger au milieu de cette scène et d'observer le groupe depuis l'intérieur. On capte l'émotion des musiciens au plus près - le visage de Jonsi passe de la souffrance à la joie en un clin d'oeil - et tout cela colle évidement parfaitement à la musique omniprésente.
Festival (Með suð í eyrum við spilum endalaust, 2008)
A des lieues de tout ce qu'on a pu voir de beaux clips/film (Heima, 2008) sur Sigur Ros jusqu'à présent, ces admirables séquences de concert N/B sont entrecoupées par des images d'archives où l'ont (re)découvre le groupe à ses débuts. Jonsi apparait alors tout mince et tout blond. Des extraits montrent les 4 garçons faisant les foufous avec leurs vélos pliables. Enfin, on les voit jouer dans une toute petite cave à peine décorée par de pauvres branches. De quoi mesurer le chemin parcouru jusqu'au final en grande pompe à l'Alexandra Hall. Des bouts d'interview également, font dire au groupe (avec un accent trrrrrrop cool plein de "r" roulés) que Sigur Ros fait du hard rock ("harrrd rrrrock") et que le prochain album sera meilleur que tout ce qu'ils ont fait jusqu'à maintenant. On verra ça bientôt puisqu'ils sont de retour en studio. En ce qui concerne Inni, ces brèves interruptions (en couleurs) souvent pleines d'humour apportent une touche de légèreté bienvenue, avant de transiter - toujours impeccablement - vers la scène pour un morceau de plus, et la magie reprend.
Elle lasse pourtant. A vouloir ajouter trop d'effets en re-filmant ses pellicules (d'où la patine un peu "sale"), Morisset touche parfois à l'excès. Trop de bidouillages psychédéliques et de mécaniques hypnotiques sont parfois à deux doigt de faire retomber le soufflé à plat. Enfin, presque, puisque des scènes à couper le souffle (c'est le cas de le dire) comme celle où Jonsi (toujours lui) maintien une même note jusqu'aux limites de la pâmoison et surtout, surtout, surtout le final magistral nous font tout pardonner. On ressort de là avec la même sensation dans le ventre qu'après un concert intense passé à la vitesse de l'éclair. Et on a bien évidemment qu'une seule envie: voir Sigur Ros en vrai, absolument. Et pourquoi pas assis tant qu'on y est.