La fureur d’un cauchemar estival : “July Trip” de Waël Nourreddine
Publié le 06 novembre 2011 par Libalel
“Lorsque la dernière guerre a débuté, j’étais loin à mon domicile à Paris. Je n’avais qu’une seule idée : rentrer à Beyrouth le plus rapidement possible et commencer à filmer, il s’agissait de moments historiques. Ce film était devenu pour moi le film indispensable : filmer pour que l’histoire cesse de se répéter en boucle et constituer une banque d’images pour les générations futures. Je n’ai jamais compris pourquoi il y avait si peu de films tournés pendant la guerre au Liban. Hormis quelques rares films, il ne nous reste rien de cette époque. La guerre avait pourtant droit à plus d’attentions.” 1
Samedi 15 octobre 2011 était diffusé au Cinéma des Cinéastes à Paris, dans le cadre d’un cycle de projection sur le thème « topographies de la guerre », le court-métrage du réalisateur libanais Waël Nourreddine, July Trip. Partant de la citation du géographe Yves Lacoste « La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre », le programme s’articule autour des implications sociales et spatiales d’une situation de guerre. En reprenant Corneille, on pourrait dire que ce sont « les yeux égarés, et le regard farouche » que le réalisateur raconte l’épisode de la guerre du Liban de 2006 telle qu’il l’a vécue et filmée. Une occasion pour lui poser quelques questions sur l’histoire de ce court-métrage.
Tourné lors des attaques de l’armée israélienne de juillet 2006 dans le sud du pays et dans la banlieue beyrouthine, le film dépeint la fureur d’un cauchemar estival. Filmer la guerre, c’est ici témoigner de l’image de la mort au cœur des décombres. Mais le réalisateur s’inscrit dans une démarche cinématographique esthétique, rejetant le format du reportage dont la visée informative transforme souvent l’objet en produit commercial. Les productions de Waël Nourreddine se posent à contre-courant d’une « histoire écrite par les vainqueurs »2. Pour lui, son film « n’est pas un objet de consommation, c’est plutôt moi qui était consommé».
Reflet du chaos intérieur instauré par la brutalité des attaques, le montage des scènes alterne entre des images de destructions urbaines et de corps inanimés, de ceux qui ont échappé à la mort et qui tentent de sauver ceux qui se trouvent au milieu des ruines. On dirait que, comme les rescapés, la caméra aborde la scène avec autant de violence que de réticence.
L’angoisse est palpable et se nourrit d’une mélodie monotone et d’une prose désabusée : Soleil trahi du chanteur et cinéaste F.J. Ossang (extrait de la bande originale du Trésor des îles chiennes). Les scènes de drogues viennent accentuer la confusion du scénario infernal. Les prises de vue, souvent étouffantes et laissant peu de place à l’horizon céleste ou terrestre, suscitent le malaise du spectateur. L’objet du film n’est pas de procurer du plaisir au spectateur et il n’a pas non plus une visée instructive. Il s’agit avant tout, pour Waël Nourreddine, de faire part d’une vérité et d’une réalité : « C’est la vrai histoire, c’est mon histoire ». La diffusion du court-métrage dans d’autres régions lui a aussi donné l’occasion de partager cette réalité de la guerre avec des spectateurs, dont notamment des Serbes qui ont pu retrouver leur expérience de la guerre dans July Trip.
1. Waël Nourreddine à propos de July Trip
2. Toutes les citations qui suivent sont tirées d’un entretien réalisé le 24/10/2011
Clélia Amalric
Voir un extrait du film ici
Photos : July Trip de Waël Nourreddine, courtesy of the artist