Il est des épisodes insignifiants du quotidien qui marquent des existences, mon existence. Hier, je retrouvais avec grand plaisir des copains/copines croisés il y a longtemps, au hasard de la vie. Des liens d’amitié se sont tissés, et on se retrouve de temps en temps, autour d’un verre, à raconter nos histoires d’anciens combattants…
Mais hier, ce n’était pas drôle. D. semblait heureuse de se retrouver, d’être là ensemble, à l’abri de la fureur du quotidien. Mais sa gêne était palpable, impossible à masquer, si bien qu’elle fondit en larme bien assez vite pour nous apprendre qu’elle avait dû s’inscrire au Restos du Coeur pour pouvoir manger…
D. a passé sa vie derrière un guichet et s’est occupé de ses enfants. Puis vint la maladie, une de celle que l’on ne choisit pas malgré son sens profond des responsabilités, qui vous tord et transforme à jamais votre maigre salaire en pension ridicule d’invalidité. S’en suit une séparation, puis une nouvelle maladie, toute aussi sévère… A 55 ans, la retraite est un mirage qui s’éloigne toujours un peu plus, et l’immédiat, le logement, les besoins des plus élémentaires, se dresse comme une montagne infranchissable, mais il faut faire avec. Le courage, la volonté, la ténacité, contre un appui prolongé sur la tête sous la ligne de flottaison, cela ne sert à pas grand chose… Je suis rentré bouleversé, hagard. Je la savais pas bien riche, mais pas à ce point. Voilà ce que devient le crépuscule d’une vie de travail, de tête courbée, d’acceptation de tout et de rien. De toute façon, il n’y a rien à négocier, à offrir en contrepartie, que des bras et la misère.Pourtant, en rentrant hier, j’ai entendu un discours tout autre. Notre Nain Compétent a martelé à Toulon qu’il n’est toujours responsable de rien. Depuis 10 ans indirectement ou directement au manche, le bilan, c’est quelques centaines de milliards de dettes supplémentaires, quasi 10% de chômage, une main-mise sur les libertés individuelles, un service public dévasté, une société clivée, un modèle social saccagé, une précarité galopante et une pauvreté grandissante jusqu’à l’insupportable. Les responsables, c’est les institutions, les autres, la mondialisation, les traités, la crise… auxquels pourtant, son idéologie a très activement participé, et dont il a personnellement soutenu sans réserve les moindres mesures.
Ce n’était pas un discours sur l’Europe, la France, la situation économie. C’était un banal discours électoral, l’entrée en campagne d’un candidat, plus enclin à donner des leçons, dans et hors des frontières hexagonales (sic), à envoyer des pics hors de propos pour un président se voulant rassembleur (re-sic), et à jouer sur les peurs. Comme s’il était un seul instant simplement «possible» de sortir quiconque de l’Euro sans provoquer le cataclysme que l’opération est censée éviter…
Le discours, la réalité, la vraie vie… La perspective est saisissante. Pour celles et ceux qui perdent pied, elle est effrayante si elle n’était pas aussi réelle, aussi rapide, aussi dramatique. Une seule chose est juste dans ce verbiage à talonnette : «il faut des sanctions pour ceux qui ne respectent pas leurs engagements». Indispensable même. Cela n’apportera pas de beurre dans les épinards de D., mais cela ferait déjà bigrement plaisir.
Dans la grisaille, c’est toujours bon à prendre.