AD 2031. Depuis plus de 20 ans, la Terre est aux mains des Blues, des animaux mutants aux allures d’insectes monstrueux, si féroces et si résistants que les survivants humains n’ont eu d’autre choix que de trouver refuge dans l’espace. Dans leur station orbitale appelée Second Earth, une société profondément militariste et élitiste s’est développée, aussi froide qu’inhumaine, qui entraîne des troupes de choc équipées d’un matériel de pointe afin de reprendre le contrôle de la planète, mais sans succès jusque-là…
Sur Terre, Yuji Kaido, un « sleeper », une de ces personnes placées en sommeil cryogénique en attendant que la médecine trouve un remède à leur mal, se réveille soudain alors que des soldats de Second Earth le transportent vers une navette d’évacuation. Mais la troupe se fait décimer par des Blues et Yuji finit par se retrouver seul avec Marlène qui lui servira d’escorte pour rejoindre l’astroport de Baïkonour. Tout au long de leur périple, il apprendra à connaître sa compagne d’infortune, et ainsi à mesurer à sa plus grande horreur l’inhumanité du régime de Second Earth.
Rappelant beaucoup Genesis Climber Mospeada (Katsuhisa Yamada ; 1983) – mais sous stéroïdes – pour son portrait d’une Terre aux mains d’envahisseurs évoquant des sortes d’insectes géants comme pour l’aspect road movie de sa première moitié, peut-être en partie inspiré par le roman contre-utopique Les Monades urbaines (The World Inside ; Robert Silverberg, 1971) pour sa description du cauchemar concentrationnaire de la société de Second Earth, flirtant avec une forme de transhumanisme tendance écolo, faute d’un meilleur terme, Blue Gender se caractérise surtout par un juste équilibre à la fois entre action et drame mais aussi entre intrigue et fiction spéculative. Soit un cocktail somme toute assez peu banal pour une œuvre en apparence aussi orientée action, ce qui étonne somme toute assez peu de la part de son créateur original, Ryōsuke Takahashi, auquel le genre « real mecha » dont se réclame cette production doit ses œuvres les plus marquantes, avec des titres tels que Dougram (1981), Votoms (1983), Gasaraki (1998) ou Flag (2006), parmi beaucoup d’autres…
Articulé autour du thème certes rebattu mais néanmoins très efficace de l’étranger – en l’occurrence le personnage de Yuji – propulsé dans une société dont il ignore tout mais qu’il découvre peu à peu à travers un point de vue assez peu différent du nôtre puisqu’il s’agit d’un de nos contemporains, le récit se montre adroit à travers une première moitié qui dépeint avec force détails la situation d’une Terre revenue à l’état de jungle primordiale mais aussi celle tout à fait tragique des laissés pour compte jadis abandonnés par les gens de Second Earth lors de leur débâcle il y a plus de 20 ans. Une recette narrative bien classique, donc, mais qui permet, ici, de mesurer sous quelles pressions les réfugiés de la station spatiale ont dû élaborer leur nouveau mode de vie – pour ne pas dire « de survie ». Et voilà comment on comprend très bien pourquoi Marlène elle-même se voit elle aussi presque considérée comme une étrangère par ses propres concitoyens à son retour sur Second Earth, son contact avec Yuji lui ayant permis de retrouver sa part d’humanité perdue durant la formation militaire dont elle subit le conditionnement alors qu’elle était encore enfant.
Si le lien entre les « sleepers » et les Blues peut sembler tiré par les cheveux, de même que les implications métaphysiques – ou assimilé – qui en découlent, et qui ne plairont pas à tout le monde, l’ensemble reste malgré tout de très bonne facture tant au niveau de l’histoire que de la réalisation, et pour peu qu’on ne s’attache pas trop aux détails de l’un comme l’autre de ces deux aspects. Le récit tend toutefois à se diluer vers la fin, mais à peine et au profit de scènes d’action très bien menées qui ne font d’ailleurs vraiment pas rire tant le niveau de pertes du côté des humains atteint des sommets ; et si le dernier épisode bascule un peu dans une forme de mysticisme aux assez nets accents New Age, il ne parvient pas à gâcher l’ensemble pour autant non plus.
Injustement méconnu en dépit de ses immenses qualités, et surtout de notre côté de l’Atlantique, ce qui n’étonne guère, Blue Gender compte néanmoins parmi ces œuvres qui méritent beaucoup mieux. Ciblant de préférence un public assez averti, cette production atypique combine un fond et une forme en un tout surprenant qui vaut très largement le coup d’œil.
Notes :
Le personnage de Marlène Angel est nommé d’après le rôle-titre que tint la comédienne Marlène Dietrich (1901-1992) dans le film L’Ange bleu (Der Blaue Angel ; Josef von Sternberg, 1930).
La fin du tout premier épisode montre une ville dévastée, séquence qui se termine par l’apparition à l’écran d’un court texte commençant avec la date « AD 2031 » : sur un des buildings en ruines, on peut apercevoir le logo du studio AIC qui participa à la production de Blue Gender.
En plus des bonus habituels, la version collector de Déclic Images propose aussi le film de la série, une narration alternative intéressante mais hélas un peu décousue puisqu’on ne peut pas résumer près de 12 heures de série TV en moins de deux. La fin se montre toutefois moins métaphysique que celle de la série, mais je conseille quand même de voir celle-ci pour combler les blancs.
Blue Gender, Masashi Abe, 1999
Déclic Images, 2009
26 épisodes, env. 22 € l’édition intégrale collector