Ceux qui fréquentent les Lectures publiques, rue de l’Industrie, ont eu la chance de voir naître La Nuit épousée. C’est en effet à la Galerie, 13 rue de l’Industrie aux Grottes, à Genève (voir www.leslecturespubliques.ch) qu’ont retenti l’un après l’autre les textes qui composent ce recueil.
Dans ce lieu animé, les auteurs lisent leurs œuvres originales tous les mercredis à 19h00. Les curieux auraient tort de se priver d’y passer. On y fait de belles découvertes, et je connais des auteurs (François Beuchat par exemple), qui y ont trouvé un éditeur.
Bref, j’avais entendu la plupart des textes de Dominique Wohlschlag. C’est un plaisir de les voir aujourd’hui édités. D’autant plus que, s’ils ont été faits d’abord pour être écoutés, la publication en permet une autre approche.
La clarté du style et la tension des histoires y jouent sur un arrière-fond parfois labyrinthique et délicieusement vertigineux que la lecture permet d’approfondir. Un exemple. Le premier texte présente un poème de Mallarmé proposé à ses élèves par un vieux professeur:
A trop d’une aile éphémère
Narguer l’effroyable orgueil
De l’aveugle victimaire
Choir, choir en l’amer cercueil...
Or on apprend ensuite que ce texte serait d’un élève de Mallarmé, Théodore Saint-Flour, qui aurait influencé son maître. Puis, à la suite d’une explication virtuose qui en décortique le style, les élèves comprennent que c’est encore quelqu’un d’autre qui a écrit le texte, quelqu’un qu’ils connaissent bien.
Ces jeux de miroir borgésiens sont fréquents dans le recueil. La lettre obscène d’un voyeur est en réalité un poème de l’Atharda-Veda. L’adversaire coriace d’un joueur d’échec se révèle être un poète bien connu que ses admirateurs auront reconnu à ses citations. Etc.
Ces dispositifs ne sont pas gratuits. Les nouvelles de Dominique Wohlschlag ont une unité intrinsèque: elles interrogent toutes l’alchimie littéraire. Agencées entre elles, couronnées par un texte final qui en fait la synthèse, elles tournent autour de la création et de ses mystères.
On peut citer là-dessus la postface qui dit cela mieux que nous ne saurions le faire: « La figure récurrente de l’interprète, du traducteur, de l’exégète, du philologue voire du pasticheur ou du policier, est celle de l’alchimiste dans son travail sur la materia prima, substance infiniment précieuse et pourtant partout présente, chérie de l’Artiste, méprisée du vulgaire et qui pour l’écrivain n’est autre que la langue. »
Mais nulle monotonie là-dedans: on est séduit par la variété des personnages, des temps, des lieux et des cultures, par la vivacité des histoires, la relecture des symboles et l’érudition des thèmes (le mythe de la Genèse, La Divine comédie, le poète Horace, les liens entre l’écriture de l’Ile de Pâques et celle de l’antique civilisation de Mohenjo-Daro, etc.).
Avec La Nuit épousée, Dominique Wohlschlag, traducteur du sanscrit, professeur de latin, collaborateur du Musée d’ethnologie, féru de littérature ésotérique, plus particulièrement alchimiste, et de plus antiquaire (on peut le trouver régulièrement sur son stand du marché aux puces de Plainpalais), rajoute donc une corde à son arc. Un arc apollonien.
Dominique Wohlschlag, La Nuit épousée, Editions de L’Aire