Comment être candidat sans l’être ? Le Président de la République a
réussi le tour de force de présenter la vision de la France sur la crise européenne tout en n’échappant pas aux impératifs de précampagne.
Le Président de la République Nicolas Sarkozy a prononcé le
second discours de Toulon le jeudi 1er décembre 2011 à dix-huit heures trente-six. Le premier avait eu lieu le 25 septembre 2008 juste après le début de la crise financière et il y
avait exprimé ses grandes ambitions pour réformer le capitalisme mondial. Il en était ressorti le principe du G20 mais pas beaucoup de choses de concret.
Hauteur et campagne
Nicolas Sarkozy a fait ce discours de cinquante-deux minutes au Zénith de Toulon devant de plusieurs
ministres et cinq mille spectateurs (essentiellement acquis à l’UMP) qui lui ont réservé un bain de foule après la Marseillaise finale.
Pour le Président, qui commence à sentir un redressement dans l’opinion à fur et à mesure que la maison Hollande s’enfonce dans les cafouillages, c’était l’occasion de s’adresser tant aux Français qu’à
l’ensemble du monde sur la détermination de la France à maintenir la solidarité au sein de l’Europe et de
l’alliance franco-allemande pour combattre la crise financière.
Il a donc voulu prendre de la hauteur même s’il n’a pas pu s’empêcher d’envoyer quelques piques à ses
concurrents, en particulier aux socialistes à propos de la retraite à 60 ans et des 35 heures (« des fautes graves dont nous payons lourdement les
conséquences »), et aussi de la règle d’or à adopter dans tous les cas en 2012, avant ou après
l’élection présidentielle, à Jean-Luc Mélenchon contre la régularisation de tous les sans-papiers, à
Eva Joly contre la suppression du veto de la France au Conseil de sécurité de l’ONU ou encore contre
l’accord PS-Verts sur le démantèlement de l’industrie nucléaire qui est l’un des atouts du pays.
La France a peur…
Ses propos étaient assez fins puisqu’il n’a pas hésité à commencer par le discours du 25 septembre 2008,
salué par toute la classe politique à l’époque mais périodiquement brandi comme preuve de l’impuissance du pouvoir.
Il a énuméré les nombreux atouts de la France (en particulier la forte épargne des Français et une
démographie encourageante), dans une musique qui ressemblait à celle de Valéry Giscard d’Estaing pendant la
campagne de 1981.
Mais il n’a pas omis de faire un diagnostic alarmant. Il a admis que les Français avaient peur :
« Aujourd’hui, la peur est revenue. (…) C’est la peur pour la France de perdre la maîtrise de son destin. ».
Il est même allé plus loin en disant qu’il y a aujourd’hui le risque que l’Europe s’effondre, qu’elle soit
détruite par les attaques contre les dettes souveraines.
Langage de vérité …pour justifier sa politique
Ce diagnostic alarmiste a un but, celui de réagir et de justifier toute sa politique depuis quatre ans, en
particulier la réforme des retraites, en regardant chez nos voisins qui, moins bien préparés, ont dû se résoudre à des mesures bien plus graves (quel que soit le camp politique au pouvoir) :
baisse des salaires des fonctionnaires, augmentation très élevée des impôts etc.
Homme d’action même si parfois, le verbe lui sert d’action,
Nicolas Sarkozy a décidé en tout cas d’assumer ses responsabilités jusqu’au bout indépendamment de la campagne électorale. On est loin de "2011, l’année de la pause" prévue en fin 2009. Il faut
dire que la crise européenne demande des réponses urgentes qui ne peuvent pas attendre l’issue de l’élection
présidentielle.
Il a analysé la situation en listant les trois types de solutions : soit nier la crise et les problèmes
et alors, c’est mentir aux Français (et foncer droit contre le mur) ; soit imposer l’austérité, par l’impôt, et alors, il y a risque de déflation et de récession ; soit, la solution
qu’il a proposée, considérer que le travail, l’effort, est la seule voie pour s’en sortir.
Ces propos ont eu le mérite de la cohérence et lui ont même permis de rebondir sur son slogan porteur en
2007 : « Travailler plus pour gagner plus ». Son argumentation a été assez simple et il a estimé que c’est une solution qui tire vers
le haut : il vaut mieux travailler plus longtemps et garder un niveau correct de retraites que baisser drastiquement les pensions des retraites. Mais cette logique oublie une nouvelle fois
le problème du chômage des "seniors" qui en réduit l’intérêt.
La solidité institutionnelle de la France face aux crises
Nicolas Sarkozy n’a pas hésité non plus à constater que la France est le pays européen dont les institutions ont le mieux résisté face à la crise financière. Il a implicitement cité les changements de
gouvernement sans élection en Grèce ou en Italie, et il a assuré qu’il était nécessaire que, dans un monde
qui s’accélère, le pouvoir puisse prendre des décisions rapidement. Une occasion pour fustiger (avec raison à mon sens) tous ceux qui voudraient une VIe République qui ne serait, selon
lui, qu’une IVe République bis vouée à l’immobilisme et à l’impasse.
Le problème d’un tel clivage institutionnel, c’est qu’il y a quand même une voie médiane entre l’efficacité
de la Ve République et des moyens supplémentaires de contrôle de l’Exécutif sans forcément retomber dans les délices de la IVe République.
Refonder le modèle social français
Le Président de la République a osé aussi annoncer la tenue d’un sommet social sur l’emploi où il inviterait
tous les syndicats (les partenaires sociaux) en janvier 2012. Un calendrier proche de l’élection présidentielle mais qui serait difficilement critiquable : le problème de l’emploi est urgent
pour de nombreux Français. Reste à savoir si les syndicats joueront le jeu.
Autre annonce très importante, celui des cotisations sociales qui ne peuvent plus être basées sur les
salaires : « La réforme du financement du modèle social est devenu une urgence absolue. » sans apporter de piste particulière sinon
qu’il y a un nouveau cycle économique après celui qui a commencé en 1945.
Ne pas quitter les instances internationales
Nicolas Sarkozy a aussi insisté sur l’importance de ne pas tenter d’aventure solitaire (comme l’avait fait
François Mitterrand entre 1981 et 1983) ; se replier irait contre l’intérêt national. Au contraire,
la France doit continuer à s’ouvrir au monde extérieur et à participer pleinement aux échanges entre les nations.
Parmi les phrases chocs, il a martelé : « La souveraineté
ne s’exerce pleinement qu’avec les autres. ». Cela surtout en direction de Marine Le Pen et des
antimondialistes.
Il a enfin émis des éléments très positifs en faveur d’un renforcement de la construction européenne,
position qui aurait dû être exprimée bien plus tôt, à mon sens. Il a confirmé la solidité du couple franco-allemand et même sa nécessité dans la situation actuelle. Il a indiqué qu’il recevrait
Angela Merkel à Paris le lundi 5 décembre 2011 pour faire des propositions communes en faveur d’une nouvelle gouvernance européenne.
Profiter de la crise pour renforcer l’Union Européenne
Pour Nicolas Sarkozy, cela va bien au-delà de l’aspect économique et financier : « Derrière la convergence, il y a la paix. Je le dis car je fais partie d’une génération qui n’a pas connu la guerre. ». Dans un détour de phrase, il
avait évoqué la situation économique des années 1930 qui avait abouti à l’arrivée au pouvoir de Hitler. Un point Goldwin auto-attribué.
Toutefois, pour lui, l’Europe n’est évidemment pas satisfaisante, ce qui l’encourage à vouloir proposer un nouveau traité refondant tout le système,
ce qui est très ambitieux.
Par exemple, il souhaite en finir avec la règle de non-concurrence à l’intérieur de l’Union Européenne qui plombe les entreprises françaises qui auraient
besoin d’un coup de pouce de l’État. Il veut également plus de politique, à savoir, multiplier les domaines où la majorité qualifiée remplacerait l’unanimité, notamment pour renforcer la
politique sociale. En revanche, il n’est pas question de supranationalité et il compte bien préserver les frontières nationales au sein d’une Europe des États (l’expression de Jacques Delors
conviendrait ici : « une Europe des États-Nations ») et serait même prêt à remettre à plat les accords de Schengen (libre circulation
des personnes).
Enfin, il s’en est pris à tous les démagogues irresponsables
qui voudraient sortir de la zone euro, en disant d’ailleurs que le débat sur la monnaie unique est clos depuis vingt ans (septembre 1992) et que l’euro existe, donc, qu’il faut faire avec lui
dans tous les cas. Autre formule choc : « Défendre l’euro, c’est défendre l’Europe ! ».
Il a mis d’ailleurs en garde sur les conséquences désastreuses d’un retour au franc : l’endettement de la France serait doublé à cause d’un franc
nettement plus faible que l’euro ; la confiance des marchés s’effondrerait et la France ne pourrait plus emprunter.
Une orientation européenne finalement très proche du centre
Pour conclure, Nicolas Sarkozy a cherché une voie résolument volontariste entre les idées anti-européennes (de tous les bords) et une gauche molle qui
ne se rend pas compte de la gravité de la crise actuelle.
Sur plusieurs points, il a repris des propositions de François
Bayrou, en particulier sur la règle d’or, sur le besoin de produire de nouveau, et sur la construction européenne (une occasion à saisir pour renforcer les règles de fonctionnement). C’est
d’ailleurs le seul candidat qui n’a pas reçu de critiques dans ce discours qui ne s’en est pas privé pour les autres concurrents.
Peut-être n’est-ce pas là un hasard…
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (2 décembre
2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Grand oral
présidentiel.
Plan de
rigueur.
La règle
d’or.
La Hollandie
comme le Titanic.
Eva
Joly souveraine.
Le
potentiel Bayrou.