...Marc & Hélène Gérenthon - Abidjan - 1971...
Allez, autant le dire, il y a encore 72h je ne savais toujours pas de quoi j'allais bien pouvoir partir pour faire mon petit teaser du Bandama (avant que de vous livrer la présentation officielle dès demain !), et puis, au détour d'une conversation Alain (NDLR : Ambrosino) a allumé le feu, mes neurones se sont mis à se télescoper en en l'espace de 7h j'avais bouclé 3 interviews et à la fin de la journée je tenais mon sujet et mes yeux clignotent encore et croyez le ou non, rien que de relire mes notes la chair de poule m'envahit, Dieu que vous êtes beaux Marc & Hélène, Dieu que notre sport est beau...
Rendez-vous fût donc pris avec Alain en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, je ne tenais plus en place depuis déjà une heure, pensez, interviewer le tout premier vainqueur du Bandama, ici à Abidjan, je suis là, Alain arrive, il est temps, je piaffe, stresse même un peu, en oublie mes notes et... Oh well !!... allons-y, un bureau, deux bureaux et... il est là, oui, c'est bien lui, croisé il y a quelques années, petit bonhomme en perpétuel mouvement, toujours rieur et à l'esprit vif et taquin, il est là, il virevolte autour de nous à rassembler des fauteuils, mon regard est locké sur le personnage, c'est iréel, Gérenthon & Ambrosino pour moi tout seul dans ce bureau, oh non, je ne suis pas du genre groupie, loin s'en faut, j'aime simplement les personnages, les gueules, les histoires, j'aime ces mondes qui se télescopent, ces regards qui disent une vie, une passion !!!
Assis, finalement, son regard, curieux, alerte, j'ai l'impression d'avoir douze ans, Alain joue les entremetteurs et introduit ma requête !...
Il se marre, d'un de ces rires francs, non feints, je me décompose, le temps s'arrête... je vais me dissoudre dans l'espace temps...
Marc Gérenthon : "...Mais mon dieu quelle idée... une interview, moi... Mais bon sang, en voilà une idée, pour dire quoi ???..."
Moi : "... [ ] ..."
Alain Ambrosino : [ se marre et j'en suis quasiment sûr, boit du petit lait ! ]
Moi : "...je sais pas, enfin je veux dire parce que, quand même, gagner le premier Bandama de l'histoire au volant d'une R8 Gordini, près de 2000 kms de Rallye et..., enfin quoi, comment, pourquoi ???..."
M.G. : "...Ah oui, la R8 Gordini, j'en avais tiré, non parce que voyez, je suis mécano à la base, j'en avais tiré 125 cv, pour 750 kg !!! Et puis Hélène elle était là, à droite, elle prenait les notes et puis surtout elle calculait les temps impartis, c'était ma coéquipière, elle calculait et elle me disait, ralentis ! vous comprenez, quand vous roulez à cette vitesse vous pensez plus aussi vite !..." "...après, je sais pas, on a roulé c'est tout et puis, enfin, après, à l'arrivée, on savait même pas qui avait gagné... ...et puis alors, moi je suis dans l'avion pour Bouaké où je vais faire une expertise et c'est là qu'on me l'a appris, une sacré joie, belle surprise !!!..."
"...après on a été fêtés, c'était grandiose, ils ont fait monter la R8 sur la scène de l'Hôtel Ivoire, ah oui, c'était quelque chose !..."
"...Après 70, en 1971 on est passés sur la Peugeot, on était dans la même écurie que Neyret et Terramorsi, c'était sympa cet esprit d'entre aide, une fois, je me rappelle on roulait, on roulait, on devait pointer et puis d'un coup je vois Bob (NDLR : Neyret) et Terramorsi garés, alors, on s'arrête et je leur dit les gars faut aller pointer on est à la bourre et ils sont repartis, tu vois c'était mes concurrents mais bon, je les repêche !..."
"...On aurait dû être premiers mais Neyret voulait pas ouvrir à la Djibi donc il nous laisse partir devant, du coup, on roule, et puis vers l'arrivée, Hélène se détache pour être prête à aller pointer et là, à la bosse de la Djibi (NDLR : à la tour !), on jumpe, on s'envole, on a d'ailleurs fait la couverture d'échappement à l'époque avec ce jump, on s'est dit avec Hélène, P..... on revient de loin ! Oui, on aurait dû être premiers et puis finalement on arrache une roue et je finis sur 3 roues et on termine seconds..."
"...une fois je me rappelle, entre Abengourou et Aboisso en recos, on passe sur un pont en bois, l'eau arrivait au ras, on repasse pendant le Rallye, l'eau vait bien baissé et on a découvert que le pont surplombait un vrai ravin !!!..."
"...et au Maroc, on finit 11èmes sur 12 à l'arrivée (60 au départ),alors qu'au départ ils nous avaient refusés parce que les contre plaques de l'arceau étaient mal soudées, on a passé la nuit à faire souder ça localement et puis finalement..." "...le Roi du Maroc nous a d'ailleurs offert un million, parce qu'on était 11èmes mais premiers dans la montagne et le brouillard..." "...toujours au Maroc, on arrive dans un virage et là on voit Shekhar Mehta planté, alors, on s'arrête et puis on lui dit Bon Ben I'm Sorry et puis on repart. Et puis le soir, on arrive à l'étape, à l'hôtel et là, devant l'ascenceur il y a Shekhar, on se regarde et il nous dit en riant I'm sorry !!!..."
"...la Peugeot a été la meilleur auto que j'ai eue, la Datsun manquait de puissance, mais la Peugeot !!!...."
"...un jour, en recos, entre Touba et San Pedro, SARI m'avait prêté une voiture neuve pour les recos, on arrive sur une sorte de dos d'âne et on atterrit sur une pierre, transmission fracassée et la voiture part se câler contre un bout de falaise en latérite et voilà Hélène qui a vu venir le choc avec les doigts coincés entre l'arceau et la carrosserie, alors je sors, je cherche un outil, je trouve ma machette et là, je lui dis ne te fais pas de mauvais sang, avec ou sans les doigts je te sortirais de là, ohhhh, elle a gueulé !!!..." "...oui, elle bougonnait mais bon, elle faisait un sacré boulot, ouais, c'était ma coéquipière !..."
"...et puis un jour elle a décidé d'arrêter, on était vers Dimbokro, on marchait un peu fort, on était à une seconde de Jean Pierre Nicolas, alors le Gérenthon qu'est-ce qu'il fait, il bourre !!! ...oui, je volais bas, c'était de l'acrobatie, en travers partout et puis d'un coup il y a eu cette ravine en travers et on arrive, la roue avant droite tape dedans tellement fort qu'elle se met en travers et traverse le plancher d'hélène entre ses jambes, la roue est là avec nous dans la voiture et c'est la sacoche des notes qui lui a protégé la jambe, heureusement ! mais bon, elle a gueulé, oh oui, elle a gueulé puis elle a jeté ses notes, c'était fini, elle a arrêté !..."
"...non, on avait pas peur, c'est après des fois, on se disait... En dix ans de Rallyes j'ai appellé 3 fois ma mère, là c'est que ça allait vraiment mal !!!..."
"...oui, ça a été dix ans de Rallyes, une vie merveilleuse !!...".
C'est vrai, que voulez vous que je vous dise, y-avait pas grand chose à dire, on y aurait passé la journée sans problème, le bonhomme est prolixe et passionnant, las, il a fallu prendre congés mais avec la promesse de l'avoir samedi pour donner le départ du 37ème Bandama, 42 ans plus tard, presque une vie, une passion à coup sûr, encore merci M. Gérenthon pour tout ça !
Deux heures plus tard j'étais au téléphone sur la piste d'un autre partant de ce Bandama 1969, mais avec l'accord de Gilles (Pulvéric), Roger, son père, aura droit à un petit traitement particulier demain, après les vérifs ! ;-)
Une heure plus tard, je rencontrais à nouveau un partant du Bandama 1969, Nadim Farhat, oncle de l'actuel coureur William Farhat, cette année là Nadim prit le départ au volant d'une Daf 55 !!!???!!....
Là aussi, dois-je le préciser, la rencontre est un choc, l'homme porte beau, vif et alerte, la passion se lit quand on commence par effleurer le sujet mais le bougre ne se livrera pas aussi facilement, il guette, soupèse, jauge, je suis à nouveau sur un grill et les premiers rares mots sont lourds, épais et lents, je cherche à me faire accepter, les questions sont rares, les réponses nettes, concises, et puis sans que ni l'un ni l'autre ne nous rendions bien compte l'échange se fait plus rapide, rythmé, les points de vue et idées fusent, Nadim me parle de cette bande de potes, d ecette confiance, ce fair play qui sous tendait tout, il me parle de ses potes, de Daloa, Divo, Gagnoa, Issia, Bouaké, de Jean Claude Bertrand, de gaston Gardelle qui se tuait en recos pour le Bandama 1970, du choc, de l'envie d'arrêter, de l'arrêt, de l'envie justement, de la vie tout court, là aussi le Bandama coule dans les veines, a façonné un homme, un parcours, une génération, des héros ordinaires, une bande de potes.
Merci Nadim pour ces presque deux heures si intenses et promis très vite on va remettre ça pour aller un peu plus loin traquer le vieux démon du Bandama !! ;-)
3 heures plus tard, enfin, je retrouvais à nouveau Alain Ambrosino, pour, enfin, aussi, connaître SON Bandama 1969 à lui !
Moi : "...pourquoi une R8 Gordini ???..."
Alain Ambrosino : "...et bien parce que depuis l'âge de 12 ans je rêvais d'une Alpine et bon, c'était quand même un sacré budget, donc du coup j'ai fait venir de France cette R8 Gordini..." "...3 semaines avant le Bandama, la voiture était en révision et je viens la récupérer, et là, le Chef d'Atelier, un Champion du Monde, tu vois non ? ...me dit, viens on va essayer ta voiture, tu vas voir comme elle marche. Bon, on part vers Vridi, on passe le pont et on revient vers Treichville et là, au niveau de BloHorn, il y avait un feu, c'est rouge, le gars appuie pour passer et là, une voiture arrive de la droite et explose la Gordini...."
"...moi forcément c'est des larmes, ma voiture détruite, mon premier Rallye que je vois m'échapper et je dis au gars, bon, maintenant on fait comment ??? Heureusement il y avait une autre R8 Gordini dans le show room et donc ils ont joué le jeu et me voilà avec une autre auto, toute neuve !..."
Moi : "...c'est génial !!..."
A.A. : "...oui, mais attend, arrive l'expert automobile qui jauge ma voiture et la déclare épave, du coup, il rachète une misère l'épave, change deux ailes, quatres phares, le capot..."
Il (l'expert !) en tirera 125 cv et s'appelle Marc Gérenthon...!!! Et remportera le Bandama au nez et à la barbe d'Alain sur son ancienne voiture !!
"...Et du coup on s'est élancés, Bouaflé, Dabou, N'douci, Dabou... A l'arrivée on savait rien, la seule chose c'était que c'était une R8 Gordini qui l'avait emporté, et dans ma tête pas de doutes, c'était moi, pas un de ces tocards, et au final c'était Marc & Hélène..."
"...l'année suivante, en 1970, la première épreuve était autour d'un pâté de maison vers les Grands Moulins, c'était que de la latérite, et j'enquillais meilleur temps sur meilleurs temps au fil des tours, et je roulais, je roulais, bon, y-avait bien cette lumière rouge qui se déclenchait à un intervalles réguliers, mais bon, au final un moteur ! Rallye foutu...!!!..."
Une fois de plus, une histoire faite de potes, de confiance, de hasards de la vie et de faits de course, et un Rallye, le Bandama qui a traversé les époques et les générations pour continuer de faire fantasmer, de belles trajectoires de belles ellipses, des vies tout simplement...
...l'espace temps se détend à nouveau, je reprends une respiration profonde, je viens de traverser un trou noir dans lequel j'ai l'impression d'avoir fusé à la vitesse de l'éclair, mes yeux me brulent, mon pouls tape, mes tempes vibrent, je sors d'une expérience de rêve imminent...!?!!
RDV donc M. Gérenthon, samedi matin 10h00 GMT à Grand Bassam sur le podium de départ pour lâcher ces jeunes fauves !
Et au moment de monter sur le podium samedi, pilotes, copilotes, prenez un instant pour croiser le regard de Marc avant que le drapeau ne s'abaisse, croisez ce regard vif et profond, laissez vous happer par son sourire et surtout renvoyez le lui ! renvoyez le lui en ayant une pensée pour Hélène, une pensée pour cette coéquipière, pour ces 10 ans, pour cette vie merveilleuse, pensez à la voie triomphale qu'ils nous ont ouverte et à ce chemin parcouru et ne roulez pas des mécaniques, en dix ans, Marc & Hélène en ont vu beaucoup plus que ce que vous pouvez même imaginer...
Moi en tous cas, je serais là M. Gérenthon, comme promis et qui sait, peut être qu'après le départ de la dernière voiture m'accorderez vous la faveur de nous accompagner voire passer un ou deux rookies et alors nous pourrions, encore un peu, parler d'Hélène et de vos frasques en Rallye, oui, qui sait, peut-être...
Respect total M. Gérenthon,
A tous ceux qui cette année là ont défié le Bandama et subi l'affront de Marc & Hélène, à cet héritage qu'ils nous ont laissé, à ce monde qui nous sépare, à cette passion qui nous unit !!!
Mention spéciale à Alain Ambrosino, à Nadim Farhat et à Roger Pulvéric, puissions nous un jour, à vos yeux être dignes de ce que vous avez bâti et vécu !!!
Pour Hélène...