Delphine Pontvieux
Une fois par mois, Expat Forever vous propose de rencontrer une femme expatriée, un expat entrepreneur ou parfois les deux en même temps afin de mieux comprendre et d’appréhender la vie au quotidien en expatriation. Ce mois-ci, j’ai rencontré Delphine Pontvieux qui vit depuis plus de 10 ans aux Etats-Unis. Delphine a créé sa propre maison d’édition Miss Nyet Publishing et est l’auteur d’un roman en anglais ETA Estimated Time of Arrest publié en 2009.Expat Forever: Bonjour Delphine. Tout d’abord dites-nous d’où vous venez en France ? Delphine Pontvieux : Bonjour. Je suis originaire de la région parisienne, mais j’ai grandi principalement à Beaune, en Bourgogne, avant de quitter la France pour de bon en 1995. Quant aux autres membres de ma famille, ils vivent toujours en France, entre Paris et la Camargue.
EF : Pouvez-vous me retracer votre parcours de femme expatriée ?DP : En fait, les Etats-Unis n'étaient pas ma première expérience d'expatriée (même si je vis maintenant ici à Chicago depuis plus de 12 ans). J’ai d’abord vécu et travaillé à Madrid en Espagne, puis à Austin, Texas, suivi de trois ans en Hollande à Amsterdam (où je travaillais en temps que responsable marketing du territoire européen pour une maison de disques américaine). Quand l'opportunité de partir vivre (en plus de pouvoir travailler, car l’obtention d’un visa de travail est toujours une affaire un peu compliquée) aux Etats-Unis s’est présentée à moi en 1998, j’ai saisi ma chance et je suis venue m’installer pour de bon dans l’Illinois.
EF: Quelles difficultés avez-vous rencontré au début de votre installation aux Etats-Unis?DP : Tout d’abord il a fallu que j’attende l’obtention de mon visa de travail (c'était un H1B) via l’ambassade des Etats-Unis à Paris avant de pouvoir partir. Ensuite, une fois arrivée sur le sol américain, j’ai eu beaucoup de chance d’avoir : 1- un petit ami américain (c'était lui, la raison principale de mon départ) qui avait déjà fait les démarches pour louer un appartement parce que je ne pouvais même pas ouvrir un compte bancaire à mon nom. 2- avoir la sécurité d’un emploi qui m’attendait dans mon domaine d’expertise. J’ai rapidement rencontré ma meilleure amie à Chicago, qui est Québécoise. Elle venait également tout juste de s’installer en ville, et nous rions encore aujourd’hui de toutes les mésaventures que nous avons vécues ensemble. Par exemple, quand nous faisions du shopping, nous n’avions pas la possibilité d’obtenir une carte de crédit, même si toutes les boutiques essayaient en vain de nous obtenir une carte de crédit via leur franchise. Et puis les attentes interminables pour obtenir une “social security card”, le permis de conduire américain ... toutes les démarches censées être “faciles” se terminaient toujours par un document officiel manquant, la nécessité de revenir avec des factures de gaz ou de téléphone à notre nom et adresse (choses que l’on n’avait pas) ... Sans compter le temps d'adaptation nécessaire avant de ne plus se perdre dans Chicago. Une fois que quelqu’un m’a enfin expliqué que le lac était situé à l’est, et non pas au nord comme je me l’imaginais en regardant les cartes de la ville, et en utilisant la boussole dans ma voiture, tout est néanmoins devenu d’une simplicité limpide ! Egalement, et surtout après le 11 septembre, voyager en dehors des Etats-Unis était devenu compliqué, car en attendant la carte verte je n’avais pas le droit de quitter les Etats-Unis jusqu'à obtention de celle-ci. Heureusement, j’ai pu obtenir un papier officiel pour pouvoir voyager (à cause de mon travail) en dehors des frontières, mais au prix d’efforts acharnés de la part de mon avocat d’immigration. Quand je repense à ces années, je dois avouer que cela n’a pas toujours été facile. Mais à partir du moment où j’ai obtenu ma carte verte (le processus a tout de même pris 7 ans), je n’ai plus eu aucun souci.
EF : Aujourd’hui vous vous sentez française, américaine ou les deux à la fois ? Et comment les locaux vous perçoivent-ils ?DP : C’est une excellente question ... Pour les américains, je resterai définitivement française, (accent prononcé et culture oblige !) D’ailleurs, tous me disent que ça serait dommage de changer la personne que je suis. Même mon nom, Delphine, qui est bien commun en France, sonne exotique à leurs yeux, alors, pourquoi essayer de cacher ses origines ? En ce qui concerne mes amis et ma famille en France, je suis, en revanche, devenue une vraie américaine. Entre les mots que j’invente lorsque je parle français (les ‘conquerreurs’ de l’histoire, par exemple, au grand dam de mon père qui en rit pourtant bien, me répétant que cela valait bien la peine de me faire faire des études), mes requêtes du genre “on n’a qu’à commander une pizza à faire délivrer” à trois heures du matin ou ma sale habitude de laisser trainer mon sac ouvert et bien en vue dans les lieux publics.En ce qui me concerne, je crois que je me sens définitivement un amalgame des deux. Pour ce qui est de ma façon de travailler, je suis définitivement américaine ! Il faut être productif et ne pas remettre à demain tout ce qui peut s’arranger le jour même, même si le problème survient un vendredi à cinq heures du soir. En revanche, les déjeuners qui durent (avec un bon verre de vin !), les vraies vacances, la vie conviviale entourée des amis à l’heure de l'apéritif ou autour d’un café et refaire le monde, ou encore faire des “boums” improvisées sur les vieux tubes des années 80 jusqu'à point d’heure, ça, cela ne changera jamais, c’est ancré en moi.Je suis heureuse d’avoir la chance de pouvoir profiter de deux cultures, de deux familles et de pleins d’amis dans ces deux pays. Si j’avais un choix à faire, cela serait une décision très difficile à prendre, heureusement que le problème ne se pose pas.
EF : Quelle est votre formation initiale et quelle a été votre évolution professionnelle depuis votre installation aux Etats-Unis ? DP : J’ai suivi des études de Langues Etrangeres Appliquées en France, avec une année d'échange international passée à Stetson University en Floride, entre le DEUG et la Licence. Quand je suis partie en Hollande après ma Maîtrise, j’ai obtenu mon premier emploi dans une maison de disques. C’est comme cela que j’ai débuté ma carrière professionnelle dans la musique. Puis j’ai continué à travailler dans ce domaine à Chicago durant 6-7 ans, avant de quitter mon emploi. Depuis, je me suis lancée dans divers projets, notamment l'écriture et l'édition.
EF : Quel métier exercez-vous désormais ?DP : Actuellement, je touche un peu à tout. Je suis, bien sûr, écrivain (de romans, nouvelles, plus rédaction d’articles pour divers magazines francophones). Je dirige ma (petite) maison d'édition, Miss Nyet Publishing. Je suis également monitrice de plongée sous marine, et aussi actrice à mes heures (c’est-à-dire quand l'opportunité vient frapper à ma porte : j’ai un rôle dans le film ‘LOL’, le remake du film français du même nom qui sortira en salle en 2012, avec Demi Moore, Miley Cyrus et Ashley Greene)
EF : Comment et pourquoi avez-vous été amenée à repenser votre projet professionnel ?DP : A Chicago, je travaillais pour la compagnie de mon mari. J’ai eu la possibilité d'arrêter de travailler à plein temps quand la compagnie a pris de l’ampleur afin de pouvoir me lancer dans d’autres projets qui me tenaient à cœur. Jamais avant je n’avais contemplé l'idée d'écrire un roman, même si j’ai toujours aimé écrire. C’est venu un peu tout seul. Quand je me suis rendue compte que j’en étais au cinquième chapitre, je me suis dit : “Aïe, ma pauvre, là tu t’es mise dans de beaux draps !” De là, la création de Miss Nyet s’est faite, et c’est une belle expérience, car j’ai toujours voulu monter ma propre entreprise.
EF : Vous avez publié votre premier roman en anglais ETA Estimated Time of Arrest en 2009. Est-ce que vous pouvez nous en parler un peu plus ?DP : Oui bien sûr. Le roman est paru en couverture reliée en décembre 2009, puis en format digital durant l’hiver 2010. C’est un roman à émotions fortes qui se déroule pour la majeure partie dans le pays Basque et les Pyrénées Atlantiques au milieu des années 90. En voici un petit aperçu : Après avoir pris part à une manifestation pro-séparatiste qui tourne au vinaigre en janvier 1992, Lorenzo Lartaun Izcoa, un jeune homme de 21 ans, est accusé à tort d'avoir participé à un attentat contre le commissariat de sa ville natale, Irun, ou un policier a trouvé la mort. Irun est une petite ville frontalière du Pays Basque, coincée entre la France et l'Espagne, et qui lutte pour son indépendance. Malgré lui, Lartaun se retrouve ennemi public numéro un sur la liste des services secrets espagnols, et suspecté d'être un membre actif du groupe terroriste basque ETA. Il n'a pas d'autre choix que de fuir son pays. Deux ans plus tard, l'ami d'enfance de Lartaun réapparait dans sa vie, et lui propose un marché qu'il ne peut refuser : il lui offre un passeport français et la chance de retourner en Europe sous une nouvelle identité, le tout en échange d'une "petite faveur." Lartaun, en désespoir de cause, accepte. De retour en Europe, Lartaun se joint à une communauté d'écologistes au cœur de la vallée d’Aspe, dans le Béarn, qui se bat contre la construction du tunnel du Somport, tout en masquant sa réelle identité. Là, il rencontre Faustine, une jeune activiste française, qui lui redonne le goût à la vie et l’envie de se battre pour un monde meilleur. Alors que leur relation s’intensifie, Lartaun réalise que la “faveur” qu’il doit à son ami s'avère lourde de conséquences.
Le roman de Delphine Pontvieux
Mon roman a reçu l’oscar 2010 dans la catégorie ‘arts et culture’ de la communauté française à Chicago, et a reçu le prix américain “Indie Excellence Book Award” 2011 dans la catégorie Thriller au mois de mai dernier.J’ai également deux nouvelles qui viennent d'être publiées cet été dans deux anthologies éditées par CCLAP Publishing. (NDLR : Pour en savoir plus sur ces deux anthologies, cliquez ici et ici).EF : Pourquoi avez-vous souhaité écrire ce roman ? Comment en avez-vous eu l’idée ?DP : L'idée a germé un peu de nulle part. Au début, l’histoire que j’avais en tête n’avait rien à voir avec le pays basque. C’est au moment d'intégrer un personnage féminin dans les toutes premières pages de mon brouillon que tout a basculé : comme je la voulais française, elle était bien destinée à être parisienne, comme dans 95% des romans en anglais. Mais cela sentait le réchauffé, alors je me suis mise à réfléchir et me suis finalement dit, “Et pourquoi ne serait-elle pas basque ?” Je suis allée sur internet pour regarder une carte du pays basque afin d’en étudier les différentes villes et suis tombée sur des articles au sujet de l’ETA. Je les ai lus avec intérêt, car ils m’ont ramené des années en arrière, quand j’étais adolescente dans les années 80. On entendait alors parler de l’ETA très régulièrement à la télévision à cette époque. Et puis, j’ai toujours été fan du groupe de rock basque Kortatu, (qui était alors sympathisant de la cause indépendantiste). L’histoire telle que je l’ai écrite a alors germé dans mon esprit en l’espace de quelques jours. J’ai d’ailleurs recontacté le chanteur, Fermin Muguruza, qui a cordialement accepté de jouer le rôle de “conseiller technique du pays Basque”, car je voulais m’assurer que l’arrière-plan politique et l’aspect thriller de mon histoire tenaient bien la route.
EF : Pourquoi avez-vous fait le choix d’écrire ce roman en anglais et non pas en français ? DP : Lorsque j’ai commencé à écrire le roman, je ne me suis même pas posé la question de savoir dans quelle langue l'écrire, les mots me venaient plus naturellement en anglais. Il faut dire que je n’ai personne avec qui parler le français chez moi et, en dehors de quelques amis francophones, je passe 99% de mon temps à parler l’anglais. Même si j'écris des articles en français pour divers magazines, je n’ai plus la même aisance d'écriture dans la langue de Zola que j’avais auparavant. Je fais d’ailleurs souvent appel à mon père pour faire les corrections avant de soumettre mes textes aux éditeurs ! De plus, sachant que je vis aux Etats-Unis et que je comptais publier mon livre dans ce pays, l'écrire en français n’aurait eu aucun sens. En revanche, maintenant, j’aimerais beaucoup qu’il soit traduit en français et en espagnol, car le sujet même de l’histoire fait que les Français et les Ibères sont naturellement intéressés. J’ai approché quelques maisons d'édition indépendantes qui étaient intéressées, malheureusement les frais de traduction du livre leur sont prohibitifs. Peut être qu’une maison d'édition traditionnelle serait intéressée, mais pour cela il faut des agents pour les démarcher, et ne vivant pas sur place, je n’ai pas eu trop l’occasion de m’en occuper, malheureusement. Avis aux amateurs !
EF : Pour terminer, que conseillerez-vous à d’autres femmes qui s’apprêtent à tout quitter pour suivre leur conjoint à l’étranger pour la première fois ?DP : Il convient d’abord de définir les différents cas d’expatriation.Dans le premier cas, le travail de l’un des conjoints fait que la famille entière se déplace en dehors de la France. Souvent, c’est l’affaire de quelques années et la famille fonctionne toujours sur le mode “français” (caisse de cotisation, impôts, éducation, etc.). Dans le second cas, la personne quitte la France pour retrouver un (conjoint) américain. Là, c’est tout de même plus problématique car elle doit d’abord gérer son statut d’immigration. Selon le visa obtenu, elle pourra ou non travailler dans le pays. Il est important de se procurer un bon avocat qui s’y connaisse en matière d’immigration entre la France et les Etats Unis pour ne pas avoir de mauvaises surprises.
Quoi qu’il en soit, je leur conseillerais vivement de s’inscrire au Consulat. Non seulement elles recevront des réponses à toutes leurs questions d’ordre administratif, mais également elles recevront le programme mensuel des événements se déroulant dans la ville, ce qui est un excellent moyen pour se faire connaître au sein de la communauté française. Il y a plusieurs associations qui font un excellent travail sur Chicago : l’UFEC, French In Chicago, l’Alliance française, ainsi que le GPF (Groupe Professionnel Francophone), entre autres. J'apprécie leur formule d’événements mensuels (apéro français les premiers mardis du mois pour FIC, le dernier jeudi du mois pour le GPF, etc), car on peut s’y rendre sans invitation préalable, et l’on sait exactement quand et où cela a lieu ! A partir de là, les nouvelles venues pourront facilement tisser des contacts non seulement avec des Français, mais aussi avec des résidents américains et internationaux à Chicago. Une fois le cercle de contacts mis en place, tout devient plus facile. Ainsi, il ne faut pas hésiter à rencontrer les Français établis à Chicago depuis longtemps, car ces derniers sont heureux d’aider les nouveaux venus et répondront à leurs questions avec plaisir, puisqu’ils ont tous été dans la même situation à leur arrivée !
EF : Merci Delphine pour cette interview. DP : Tout le plaisir est pour moi !
ETA Estimated Time of Arrest est disponible sur Amazon en version hardcover ou kindle, chez Barnes and Noble (hardcover ou Nook) et également sur ibookstore (pour Ipad). Vous pouvez aussi obtenir des copies dédicacées sur le site internet de Delphine. Vous pouvez meme lire le prologue gratuitement ici ! Enfin, vous pouvez contacter Delphine en cliquant ici.