Il y a quatre ans, est né le projet Agir par l’imaginaire, initié par la société Elisabeth Fry du Québec et rejoint par l’organisme Levier/Engrenage noir. En juin dernier, 49 femmes ont exposé le fruit de leur travail au public, à la galerie Eastern Bloc
Des artistes pas comme les autres: leurs œuvres, elles les ont réalisées en prison. Huit artistes sont venues collaborer avec ces femmes dans quatre centres de détention du Québec. La prison provinciale Tanguay, l’établissement Joliette, l’Institut psychiatrique Philippe-Pinel et la maison de transition Thérèse-Casgrain. Une réussite inespérée, inattendue, qui a inspiré d’autres projets…
À bout de bras, avec son amie Julie Chantale, elle démarre un nouveau projet Art Entr’elles qui intervient cette fois à la sortie. Regroupant d’anciennes détenues, l’équipe crée des bouteilles de bière sur le thème de l’itinérance, des cartes postales et des films d’animation. Un tremplin vers la réinsertion. «Il ne faut pas oublier qu’à la sortie, c’est la survie. Les anciennes détenues ont perdu leur réseau social, et sont rejetée par tous les employeurs. Ce qui prime, c’est trouver de l’argent à tout prix», rappelle Geneviève, qui sait de quoi elle parle.
Des numéros de cellules
L’originalité de ces différentes initiatives? Pour la première fois, les femmes incarcérées ou en voie de réinsertion, ont un rapport d’égal à égal avec les intervenants et artistes professionnels. Pas d’art thérapie, ou autre atelier bricolage. Cette fois les femmes sont des artistes engagées.
Aleksandra Zajko, de la Société Elisabeth Fry, est co-fondatrice du projet Agir. Un bout de femme qui avoue avoir été bouleversée au fil de l’aventure. «Au début, lorsque nous avons lancé Agir, nous avions une vision très clinique, thérapeutique des choses. Lorsque le collectif Levier/Engrenage noir est entré dans l’aventure, ils nous ont gentiment remis à notre place. Ce que nous cherchions à mettre en place portait un nom depuis longtemps: l’art communautaire. Et les femmes n’avaient pas besoin d’être assistées, elles pouvaient porter leur voix toutes seules.»
Au point que les rapports ont été chamboulés: «Elles sont les porte-parole de leur travail. Avant, il y avait une limite. Nous étions intervenantes, elles étaient clientes. Elles sont devenues des personnes à part entière, je suis devenue amie avec certaines d’entre elles et ce, grâce à l’art.»
Superviser les femmes en prison
Geneviève, encore dans la rue il y a deux ans, n’en revient toujours pas. «C’est bizarre, j’ai connu beaucoup de ces femmes avant la prison, des filles avec qui je consommais. Et là, je me retrouve à les superviser. Moi, je ne finissais jamais ce que je commençais. Cette fois, non seulement je termine quelques chose, mais en plus je suis fière de moi. Je n’imaginais pas vraiment faire ma vie dans les arts, il y a quelques temps. Aujourd’hui, je suis inscrite à l’université en arts plastiques.»
Le projet pilote Agir a coïncidé avec l’arrivée du gouvernement fédéral conservateur majoritaire qui prône un système carcéral lourd, à l’américaine. Raison de plus pour les femmes de faire passer leur message: les prisons ne sont pas adaptées aux femmes et surtout, ne sont pas un moyen de réinsertion.
Ces projets enchaînés les uns aux autres veulent redonner la parole confisquée aux femmes emprisonnées, et leur rendre leur place dans la société. «Y’a-t-il une place pour moi?» scande une des femmes dans un film projeté lors de l’exposition Agir. D’autres ont choisi la réalisation plastique et représentent des numéros de cellules à la place des têtes de personnages.
La fin d’une omerta?
«Les femmes emprisonnées se sentent bonnes à rien.», explique Geneviève Fortin. Et la sortie, loin d’être plus facile, tourne souvent à la survie. «Les employeurs ne veulent pas d’ex-tolardes». Aleksandra Zajko confirme: «La prison appauvrit et humilie. Les femmes entrent pauvres, socialement, affectivement, et en sortent dépouillées. De leurs vêtements, de leur famille, de leurs liens sociaux, et de leur santé physique et mentale.»
Les rencontres artistiques ont d’abord permis de casser le quotidien. «Ça leur a fait du bien de savoir que quelqu’un prenait le temps de venir les voir en prison. De savoir que le soir, lorsque les artistes feront le montage, elles penseront à elles.»
Les enfants des femmes en prison
En effet, d’après une étude de 2002, 60 % des femmes sous sentence fédérales seraient des mères.
Le tableau n’est pas simple et n’a pas révolutionné la vie de toutes ces femmes, ni fait d’elles des artistes professionnelles. «Je suis malheureusement un cas à part. Pour la plupart des femmes, l’aventure s’est arrêtée avec la fin du projet», admet Geneviève. Mais osons croire à un petit miracle: au moins pour un temps, ces femmes ont réussi à se reconnaître, à s’estimer par les arts.
Lorsqu’on leur demandait de composer deux phrases pour l’atelier du lendemain, elles revenaient avec un texte entier. Toutes. La plupart d’entre elles garde contact régulièrement avec les associations. Ces dernières veulent continuer l’aventure, d’une manière ou d’une autre.
Quant au public, et aux familles, on peut parler de prise de conscience. «Voir, écouter, vibrer à ce que tu as vécu ma fille et t’aimer encore plus. Ta mère. (Extrait du livre d’or de l’exposition Agir par l’imaginaire.)»