Nos choix nous dévoilent, scellent notre image durablement. Tant pis si ces images sont souvent des clichés . Passons ensemble les présidents de la Cinquième au scanner de leurs goûts ; confessons-les au divan de leur “salon”.
Le général de Gaulle aimait Astérix et Henri Salvador, Intervilles et le Tour de France, les réussites et le pot-au-feu. Il pouvait, voyant débarquer Bardot en veste à brandebourgs, glisser ébaubi à Malraux : « Veine, un soldat ! » Ne disons pas qu’il « aimait le peuple » : il était le peuple de France , l’incarnait, l’incantait, l’exhaussait. Quel serait donc le « salon » du grand Charles, un des lieux de son identification symbolique ? Tout sauf une pièce popote à la Boisserie. Tenez, je vous propose, assez peu connue, la tribune des Jeux d’hiver, Grenoble 68 . Souvenez-vous : on fit pleuvoir des roses sur la cérémonie, le Général en saisit une et l’offrit à Yvonne ; dès le lendemain nos skieurs raflaient les médailles… Trois mois plus tard, les pavés volaient rue Gay-Lussac.
La rue d’Ulm, l’agrégation des Lettres et l’intimité des artistes ne parvinrent pas à faire de Pompidou un « intello ». On aima sa bonhomie roublarde de maquignon, jusque dans le geste de tendre du feu à sa « bibiche », ou de promener dans les prairies du Lot l’éternelle clope qui le perdrait. Le « salon » de Georges ? Plutôt que les folies modernistes de Beaubourg, où la déco new look de l’Elysée (toutes innovations consenties pour plaire à madame), je vois une grande pièce à poutres et cheminée, comme un rêve de paix prospère au cœur d’un paysan poète, entre prairies et bois, dans une fermette retapée d’Ile de France.
Sur un cerveau d’énarque et un nom bricolé, Giscard greffait un rien de peuple, à petites touches de pull-over, de football et d’accordéon. Anémone se fit même violence pour nous dire avec lui « Bonne année » devant des bûches, quand tout en eux aspirait aux raouts dans des salons Louis-XV. Oeufs brouillés et colin froid suffisaient, dit-on, au régal d’un prince qui croyait rencontrer la France profonde en partageant la ratatouille dans des prisons et le gigot flageolets dans des trois pièces cuisine. Le « salon » de Valéry ? Hélas ! le lieu même de sa consomption : un studio de télé, avec petite table et bouquet, pour un « Au revoir » conçu pathétique et reçu burlesque.
Ne croyez pas que nous ayons détesté Mitterrand. Si vous saviez comme nous redoutions, à chaque pèlerinage de Solutré, qu’un courtisan trop empressé n’allât, au faîte de l’ascension, lui faire piquer du nez en Saône-et-Loire quand il avait tant à faire à Paris : deviser sur les quais avec des petits maîtres, poser pour un bronze, épier des peoples, voir sa fille de l’ombre, faire mentir un médecin, crucifier un interviewer ou un premier ministre. Difficile de fixer le « salon » de François, car la piste des goûts se brouille chez un jouisseur protéiforme compliqué d’un rusé politique. Eh bien, mettons le salon du Bourget -millésime 82 ? 83 ?- où le héros de la « fracture » contempla une parade d’avions de guerre désarmés. On se disait qu’un mirage sans bombe, c’est un peu comme une sex-shop sans godemiché ; et c’est là que nous apparurent en pleine lumière la duplicité de l’homme et le paradoxe de la gauche française.
Sumo, arts premiers et tête de veau synthétiseront longtemps la formule alchimique de Chirac. On n’a pas pu haïr ce grand mince au sourire ravageur, aussi à l’aise dans le baisemain que dans le pince-fesses, aussi chaleureux à serrer les pognes qu’à taper les dos, aussi intense à la table d’un G8 que dans les vestiaires de la Coupe, aussi emprunté avec les journalistes qu’avec les doctes. Longtemps le « salon » de Jacques fut partout où grouillait la vie ardente, mais nulle part mieux qu’en cette porte de Versailles où aucune vache, jamais, ne s’est dite offensée qu’il lui flattât la croupe entre rire fort et boire sec. Ah ! si le courage réformateur était sans importance, comme on pourrait regretter cet homme-là !
Il est trop tôt pour localiser le « salon » de Sarkozy. Sûrement pas le Salon de l’agriculture ! Pas un pouce de terroir chez ce type. Son discours achevé, l’autre jour, il a filé parmi les bêtes comme un Edouard qui se taperait de cacher que ça l’emmerde, avec, au bout de l’agacement, la grossièreté qu’on sait… Bon, alors quoi ? le salon du nautisme ? le Midem ? un studio d’enregistrement ? Nous verrons bien. On sait au moins que le président se bourre de chocolats : preuve d’une carence affective ? Il aime les belles montres, les belles femmes, le jogging, les mots choc et les réformes éclairs : indices d’un homme pressé ? angoissé par la mort et les pesanteurs qui l’annoncent ? rageant du déclin d’un pays « qui lui a tout donné » ? On doute, on espère, on souhaite soutenir encore cet impulsif ; on se dit qu’au fond l’excès est préférable au manque, la fébrilité à l’anémie ; on pense que le flot finira bien par déposer ce brasse-bouillon sur une rive assagie.
Et toi, noble électeur, si tôt critique, si facilement frondeur, si prodigue en leçons de savoir vivre et de gouverner, quel est ton « salon », ta sacrée petite pièce avec son reliquaire, son ostensoir et son autel des dévotions dans l’étroit champ du possible ?