De Jacques Tardi, d’après le roman de Jean-Patrick Manchette.
Michel Hartog est un architecte pour le moins original, tant de par ses créations aussi novatrices que farfelues, que dans sa façon de vivre décalée et un tantinet philanthropique. Il faut dire que depuis la mort accidentelle de son frère et de sa belle sœur quelques années auparavant, il est devenu le richissime héritier d’un empire financier aussi important qu’improbable. Comme pour mieux illustrer son besoin de faire le bien autour de lui, il ne s’entoure que de gens à la dérive dans la société, estropiés et marginaux de tous poils. C’est donc tout naturellement qu’il va recruter Julie, qui vient de passer cinq longues années en asile psychiatrique, pour s’occuper de Peter, le neveu dont il est devenu le représentant légal.
Mais très rapidement les évènements vont tourner à la catastrophe. Julie et Peter sont enlevés par une bande de malfrats dont le chef semble être un certain Thompson, tueur à gages à la réputation sulfureuse, lui même aux ordres d’un mystérieux commanditaire. On pensera d’abord à un rapt « classique » visant à obtenir un rançon tout en cherchant à faire porter le chapeau à Julie (quoi de plus facile que de « charger » une jeune femme au passé si fragile), mais cette dernière comprendra vite que Peter et elle sont au cœur d’une affaire bien plus sordide, et que c’est leur mort qui est programmée. Au prix d’une lute acharnée, et de quelques dommages collatéraux, elle parviendra à s’échapper avec son jeune protégé à travers les campagnes françaises. La vie mouvementée de Julie lui a appris à ne pas faire confiance aux flics, elle décide donc de fuir seule avec le petit pour tenter de rejoindre Hartog dans sa résidence « la tour Maure » isolée en plein cœur du Vercors.
C’est alors un hallucinant « road movie » qui s’engage avec pour décor la campagne française dans toute sa splendeur. Une course poursuite infernale dans un univers triste et lugubre largement accentué par le trait si caractéristique de Jacques Tardi. Prenez en trame scénaristique un roman de Jean-Patrick Manchette et c’est le pompon, fusillades à tour de bras (je repense avec délectation à la scène du supermarché, une pure merveille), et un suspense qui va crescendo tout au long de l’ouvrage, pour offrir au lecteur médusé, un final sur une dizaine de pages à couper le souffle.
Croyez moi, c’est jouissif à souhait, un grand moment de bande dessinée. J’avais déjà pris un énorme plaisir à la lecture des deux précédentes adaptations de romans de Manchette par Tardi (« Le petit bleu de la côte ouest » et « La position du tireur couché »), mais là, j’ai le sentiment qu’on a passé encore un palier. C’est superbement maitrisé, comme si Tardi avait trouvé le ton juste, le recul nécessaire pour encore mieux s’approprier la noirceur du roman originel. Et puis le trait si caractéristique de l’auteur s’adapte à merveille à l’ambiance lourde qui règne de la première à la dernière page, ces paysages campagnards mélancoliques retranscrits à la perfection, une galerie de personnages improbables à la gueule cassée que lui seul est capable d’imaginer avec autant de brio. Bref, vous l’aurez compris, j’ai adoré « Ô dingos, Ô châteaux » et je n’ai pas peur de le considérer comme une pièce maîtresse (une de plus) de l’œuvre de Jacques Tardi. Oui, affirmons le, toute bibliothèque digne de ce nom se doit de posséder dans ses rayonnages ce petit bijoux de la bande dessinée.