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Virilités grecques

Par Placebo
Virilités grecquesMaurice SARTRE, Virilités grecques, in Histoire de la virilité, tome 1 : L'invention de la virilité - De l'Antiquité aux Lumières, volume dirigé par Georges VIGARELLO, Seuil, Paris, octobre 2011 (577 pages).
Plutôt que d'attendre d'avoir lu les trois tomes, j'ai décidé d'en faire le commentaire en feuilleton, ce qui, je n'en doute pas, vous tiendra en haleine pour les mois à venir.
Virilités grecques donc. Ou, comme on disait alors : andreia. Force musculaire manifestée avec courage au combat, mais avec ordre et discipline. Audace dans l'adversité et opiniâtreté face au mauvais sort -- les femmes peuvent faire preuve d'andreia. Dans la cité cependant, elle est est le fait du mâle, l'ensemble des qualités de l'homme-citoyen, et c'est dans la sphère publique qu'on peut la constater. L'éducation jouera donc un rôle majeur dans la formation de la virilité tant sur le plan « civique » que sur le plan physique.
L'éducation est, sauf pour les toutes premières années, l'affaire de la cité. L'exemple le plus connu est celui de Sparte, certainement le plus discuté par les anciens : on y encourage l'esprit de compétition et le sens de la solidarité. Il n'y a pas d'individu, tout est orienté vers le groupe. L'homme viril deviendra un citoyen-soldat; la pire honte sera pour lui de se dérober au combat, il sera déclassé aux yeux de tous pour avoir été un « trembleur ». L'éducation avait, pour les Athéniens, les mêmes objectifs, ceux-ci critiquant le fait que le système spartiate brimait la liberté individuelle et minait l'esprit d'initiative. À Athènes, l'éducation « favorise l'éclosion d'une pensée individuelle porteuse d'innovation intellectuelle... Elle dégage l'andreia de son contexte militaire et valorise d'autres aspects du comportement masculin, comme la maîtrise de la parole politique, autre forme de domination virile. »
Comme dans bien des sociétés, il convenait de marquer le passage de l'enfance à l'âge adulte, de la virilité potentielle à la virilité assumée : c'est le rite de l'initiation, la cryptie. Trois phases, selon l'auteur : « marginalisation, inversion, réintégration ». L'éphèbe doit en effet d'abord « quitter » la cité, vivre à l'écart de celle-ci pendant un certain temps. Pour ce qui est de l'inversion et des pratiques homo-érotiques comme élément constitutif de la virilité grecque, je laisse la parole à l'auteur :
« ... il convient de souligner ici deux choses : d'une part, relations sexuelles masculines et/ou travestissements s'intègrent à l'ensemble des pratiques d'inversion qui marquent la période d'initiation, d'autre part elles sont soigneusement encadrées par des dispositions légales. [...] Ni l'attirance physique ne semblent avoir part au choix d'un amant, et l'on insiste au contraire sur la nécessité de trouver un amant de rang social équivalent, et que distinguent ses qualités morales. [...] Durant cette phase, ... le jeune homme se comporte à l'inverse de ce qu'on attend de lui comme citoyen, comme si l'intégration dans le groupe des hommes devait être précédée d'un v voyage dans un autre monde où la ruse, la tromperie, la féminité étaient de règle. »
 Je ne puis me soustraire au petit plaisir anachronique d'imaginer une de nos demoiselles de Très Grande Vertu, Mlle B*** par exemple, transportée à Athènes à cette époque. Rappelons au passage que l'éromène aura entre 12 et 17 ans.
La dernière phase est la réintégration dans la cité, événement marqué le plus souvent par de grandes cérémonies publiques, dont nos graduations serait le lointain descendant.
La troisième partie de l'étude porte sur « Le mâle en son sexe », où le lecteur découvrira les critères de la beauté masculine, exprimée en art par la nudité; on notera au passage qu'un « petit sexe suggère la bonne éducation de son propriétaire. L'obscénité, selon les critères grecs, ne réside pas dans l'exposition des organes sexuels, mais dans le fait d'offrir un gland découvert ou une verge trop volumineuse comme celle des satyres de comédie. » La section portant sur la relation sexuelle est aussi très instructive :
« Pour les Grecs, l'objet du désir importe moins que la puissance de ce désir et la capacité de l'individu à lui donner satisfaction; on peut dire que la virilité consiste d'abord à satisfaire son désir. [...] Se combine en effet à cette priorité du désir une conception radicalement inégale de la relation sexuelle : celle-ci n'unit pas deux individus qui tentent de parvenir au plaisir tout en cherchant à satisfaire leur partenaire, mais bien entre un dominant et un dominé, on pourrait dire, plus brutalement, un pénétrant et un pénétré [...]. La virilité se situe clairement du côté du pénétrant. »
 La dernière partie traite enfin des relations entre le mâle et la femme, notamment en ce qui touche le dispositif matrimonial, la procréation, et la paternité. Du mariage, on attend la reproduction, ni le plaisir, ni l'amour, le sentiment ne se manifestant -- avec modération -- qu'en dehors de celui-ci, pour peu qu'il ne s'exerce pas envers une femme déjà marié, l'adultère étant fortement condamné.
Le lecteur qui voudra en savoir plus pourra aussi se reporter aux trois tomes de L'histoire de la sexualité de Michel FOUCAULT (Gallimard).

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