Un peu de Paris et d’ailleurs, Sempé à l’Hôtel de Ville, gratuit, ouvert tous les jours sauf le dimanche
Quand vous serez dans la file d’attente de l’exposition Sempé (étant donné le succès de l’exposition, je suis désolée de vous annoncer qu’elle sera longue), mettez donc ce temps à profit pour observer les gens qui vous entourent. Cette vie parisienne Sempé la saisit sur le vif et nous la livre.
Aussi très peu de dessins du petit Nicolas sont exposés mais plutôt des séries plus « confidentielles » (enfin pour moi qui ne connaissais que la Petit Nicolas et les dessins de Paris Match- non je ne lis pas Paris Match… ou alors chez le dentiste…), des dessins de presse comme les couvertures du New Yorker. Je connaissais assez peu l’œuvre de Sempé (pour ne pas dire uniquement le petit Nicolas et les dessins de Paris Match, magazine que je ne lis bien entendu pas… sauf chez le dentiste) et même quelques inédits. Les 300 dessins de Paris à New York et des années 50 à nos jours nous font entrer dans l’univers de Sempé : à chaque fois, la nostalgie et l’absurde s’associent à l’humour et la légèreté, me rappelant les films de Jacques Tati. Cette simplicité si reconnaissable du trait confère de la beauté et de la poésie aux œuvres de Sempé. Tantôt, le dessin n’est qu’une simple ligne à l’encre de chine dessinant un immeuble haussmannien avec un tout petit personnage à son pied. Pour d’autres, Sempé utilise la couleur : gouache, aquarelle ou crayons de couleur apparaissent par tâches comme une réminiscence des couleurs et des souvenirs de l’enfance nous offrant une grande bouffée d’insouciance.La scénographie en mêlant raffinement et simplicité rend hommage à l’univers de Sempé. A l’étage, les dessins sont fixés sur une même ligne qui est cependant cassée par la différence de taille des cadres de toutes couleurs donnant à l’ensemble une apparence d’anarchie organisée. Au rez-de-chaussée, les cadres sont simplement posés sur des chevalets. Là encore, le scénographe crée une rupture : sur ces grandes « tables » en bois clair, les cadres ne sont pas sagement disposés mais décalés les uns par rapport aux autres.
Cette disposition invite à prendre son temps et à s’approcher au plus près des œuvres. Il faut se perdre dans les foules des dessins de Sempé : le jardin public, la rue, les manifestations, l’intérieur d’un bus… Le tout Paris semble fourmiller ici et chaque personnage attire l’attention. On y reconnaît des personnages emblématiques de la vie parisienne : la mamie qui nourrit ses pigeons, les enfants dans le bac à sable, le livreur pressé, la parisienne chic attablée à une terrasse, le cadre pressé… On revit des situations du quotidien avec humour (oui! le parisien peut avoir de l’auto dérision) : un bus bondé sur un pont désert, une sortie de métro à l’heure de pointe, une manifestation avec un slogan « non », un carambolage de bus qui aboutit à une jouxte entre usagers… En se rapprochant du dessin d’un parc, on découvre des scénettes burlesques, perdus dans un vaste ensemble: des enfants semblent jouer au gendarme et au voleur devant des policiers en patrouille, deux automobilistes qui viennent d’avoir un accident se disputent. Sur un autre, une jolie femme semble survoler le tumulte de l’embouteillage qu’elle traverse. Dans ces foules gigantesques, il faut s’attarder sur ces individus et ces petits détails, c’est ce décalage qui crée l’humour.
Sempé croque un homme tout petit dans une ville gigantesque, le dessinateur devient philosophe. La ville et le développement de l’urbanisme sont en permanence ramenés à l’individu et à sa place dans un espace qui ne semble pas à son échelle. Le lien social et les solidarités citadines traditionnelles (comme le café qu’il aime à croquer) semblent mis à mal par cette évolution. Sempé soulève des problématiques qui restent pour le moins contemporaines. Le dessin et l’humour apparaissent dès lors pour le dessinateur comme un moyen de prendre de la distance avec la folie du monde.
Sempé croque avec malice les défauts et les travers intemporels de l’homme et de la société. Il ressent particulièrement l’absurdité de cet « animal inconsolable et gai ». Raoul Taburin fabrique et répare des vélos mais il a un secret qui le dévore petit à petit, il ne sait pas faire de vélo… Dans l’ascension sociale de Monsieur Lambert, l’arrivisme du personnage l’isole de plus en plus, il s’éloigne de ces amis de la brasserie parisienne : il doit pourtant son poste politique à son action en faveur de cette brasserie contre le projet d’un promoteur immobilier. Pour Mr Lambert, l’ascension sociale devient destructrice de vie sociale.
La nostalgie de l’univers de Sempé n’est jamais ni passéiste ni même triste, le dessin de Sempé est empreint de tendresse et d’un humour toujours élégant. On sort ainsi de l’exposition le cœur léger et le sourire aux lèvres avec un nouveau regard sur la ville et les personnages qui la peuplent.