Et voilà que l’on reparle encore de la dévaluation du franc CFA! Comme c’est souvent le cas ces derniers temps, ce sont les difficultés financières et économiques que rencontrent de nombreux pays de l’Union européenne (UE)qui relancent les rumeurs et enflamment le cyberespace africain à propos d’une dévaluation qui serait d’ores et déjà programmée pour le 1er janvier 2012. La question posée est de savoir si la parité fixe qui lie l’euro à la monnaie africaine (1 pour 655,957) se justifie dans une conjoncture économique marquée par un net ralentissement de l’activité en Europe et par de sérieux doutes sur l’avenir de la monnaie unique de ce continent.
La problématique est connue. Les partisans d’une dévaluation estiment qu’elle permettrait d’augmenter les exportations africaines à destination de l’Europe mais aussi de la zone dollar (en dévaluant le franc CFA, on lui permet d’être moins pénalisé par la vigueur, certes relative, de l’euro par rapport au billet vert étasunien). A l’inverse, ses adversaires estiment qu’une telle opération ne se justifie pas. Pour eux, la situation économique et financière des six pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) et des huit pays de l’Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA) - ces deux zones monétaires utilisant le franc CFA – n’ayant rien à voir avec celle de 1994, date de la dernière dévaluation de cette monnaie.
Propos contradictoires
C’est l’avis de l’économiste Abdourahmane Sarr, président du Centre d'Etudes pour le Financement du Développement Local (Cefdel) à Dakar.
«Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de dévaluer le franc CFA à ce stade surtout avec des réserves de change équivalentes à sept mois d'importations de biens et services pour l'UEMOA et presque 40 pour cent de la masse monétaire au sens large», explique-t-il à SlateAfrique. Pour autant, cet ancien représentant du Fonds monétaire international (FMI) au Togo et au Bénin précise tout de même que «cela ne veut pas dire que le franc CFA est à son niveau d’équilibre et qu’il n'est pas surévalué».
Lucas Abaga Nchama, gouverneur de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC) doute lui aussi de la pertinence d’une dévaluation. D’ailleurs, pour lui, il «n’y a pas lieu de penser qu’une dévaluation du franc CFA va avoir lieu». Tenus le 24 novembre à l’issue de la session extraordinaire du comité de politique monétaire (CPM) de la BEAC à son siège de Yaoundé au Cameroun, ces propos n’ont pas pour autant fait disparaître les rumeurs. Et ces dernières ont même été renforcées par Mabri Albert Toikeusse, ministre d’Etat ivoirien du Plan et du Développement, qui a affirmé, le 24 novembre dernier que «la dévaluation n’est pas une catastrophe» et qu’elle pourrait même «générer des milliards (de francs CFA) si elle est anticipée» tout en donnant «plus de valeur aux produits d’exportation entre les pays membres» de la zone CFA.
Modification du statut du franc CFA
De façon générale, Abdourahmane Sarr, est partisan d’une modification du statut actuel du franc CFA.
«Je pense qu'il est temps de penser à faire évoluer le régime de change vers quelque chose de plus flexible ce qui pourrait se traduire en une perte de valeur par rapport à l’euro et ou le dollar» explique-t-il en précisant qu'il serait «possible d'obtenir les effets d'une dévaluation sans dévaluer le franc CFA lui-même». Une approche qui passerait par l’introduction de monnaies complémentaires au franc CFA et que, d’ailleurs, l’économiste préconise aussi dans le cas de la Grèce.
«Le Cefdel veut faire la promotion de monnaies complémentaires régionales au Sénégal et en Afrique de l'Ouest comme solutions à la problématique du financement du développement local et permettre aux communautés de base africaines de renaître», explique-t-il. Pour résumer, cette approche propose l’existence de monnaies complémentaires qui pourraient être utilisées, via une institution financière, par les populations «qui ne sont pas suffisamment bancarisées» et qui n’ont donc pas accès au crédit. Ce mécanisme «équivaudrait à une bancarisation sous une forme physique et pourrait stimuler les économies locales» tout en évitant de dévaluer la monnaie nationale.
La fin d’un lien colonial entre l’Afrique et la France?
En attendant que les propositions d’Abdourahmane Sarr se généralisent, il est difficile de savoir si la dévaluation tant redoutée aura lieu ou non. Mais, comme c’est toujours le cas avec cette question qui revêt un caractère hautement émotionnel en Afrique, le débat sur le niveau de la parité fixe entre l’euro et la devise africaine a plutôt tendance à faire oublier l’essentiel.
En effet, ce n’est pas un hasard si les rumeurs à propos d’une modification de cette parité se propagent au moment où l’on doute de plus en plus de la cohésion de la zone euro. A ce sujet, il faut savoir que le franc CFA bénéficie de la garantie de convertibilité du Trésor français. La question est donc simple : quel est l’avenir de cette garantie à l’heure où Paris et Berlin envisagent de nouvelles solutions institutionnelles pour faire face à la défiance des marchés vis-à-vis des besoins financiers (et donc d’endettement) de la presque totalité des pays européens? Quel que soit le mécanisme trouvé, la France réussira-t-elle (le voudra-t-elle) à maintenir cette garantie? L’Allemagne l’acceptera-t-elle? Si, d’aventure, ces deux pays européens arrivent à s’entendre sur une union budgétaire d’ici la fin janvier 2012, qui peut jurer que cela n’affectera pas le statut du CFA ou, du moins, sa valeur par rapport à l’euro?
Perpétuation d’un lien colonial
Du coup, la balle est dans le camp des dirigeants africains. Au lieu de les angoisser, cette incertitude pourrait s’avérer salvatrice. En effet, les pays d’Afrique centrale et de l’ouest pourraient enfin décider d’en finir avec cette garantie de convertibilité du Trésor français qui n’est rien d’autre que la perpétuation d’un lien colonial qui ne dit pas son nom. C’est bien de cela qu’ont conscience tous les Africains qui débattent actuellement de la valeur du franc CFA. Ainsi, la parité avec l’euro n’est rien d’autre que l’arbre qui cache le sujet crucial de l’indépendance monétaire d’une grande partie de l’Afrique subsaharienne.
Akram Belkaïd