Alexandre Lacroix est directeur de la rédaction de Philosophie magazine depuis sa création en 2006 et enseignant à science-po Paris.
Un soir sa femme lui reproche de ne plus l’embrasser, cette remarque est à l’origine de ses réflexions sur le baiser présentées dans cet ouvrage érudit et néanmoins très accessible. Si le baiser marque souvent le début d’une histoire d’amour, son refus équivaut-il à la fin d’une histoire ?
Mêlant, plus ou moins habilement, ses expériences personnelles et ses recherches sur le sujet, l’auteur nous invite à un voyage culturel et psychologique, des origines à nos jours. Culturel, tout d’abord, indéniablement culturel, car certains peuples ne connaissent pas cette pratique. Ensuite et surtout parce qu’Alexandre Lacroix a recherché au sein de l’histoire culturelle et artistique ce qui avait trait au baiser. Et c’est un voyage en littérature, agrémenté d’images peintes et animés auquel nous sommes conviés.
Voyage qui nous invite à explorer toutes les facettes du baiser : du premier baiser adolescent à celui que l’on s’échange devenu adulte. Un parcours qui nous permet de (re)découvrir les techniques du baiser, (sa durée, avec ou sans la langue…). Alexandre Lacroix propose même un essai pour une typologie présentant 4 méthodes : les techniques du tambour, du pinceau, du bâton, de l’endoscope…
Les origines du baiser sont plutôt obscures. Les premières évocations apparaissent dans la Haute Antiquité. On peut lire dans le Cantique des cantiques : « Donne-moi un baiser de ta bouche ! ».
Le baiser moderne serait un cadeau surprise des papes (« baiser la mule du pape »). À l’origine le basium latin confraternel est un signe d’appartenance religieuse, mais Innocent III bannit le baiser hors de l’Église : celui-ci entre alors dans la société civile.
La littérature s’en empare. Jean Segond, Pierre de Ronsard, Marsile Ficin, Francesco Patrizi aux XV° et XVI° siècles où l’on découvre que le baiser a une grande part métaphysique : et si mon âme venait à s’enfuir par ma bouche ! Ce que l’on croit à une certaine époque c’est bien que le dernier souffle est celui par où s’échappe l’âme du défunt, le baiser permet donc d’échanger une part de soi… Le siècle des Lumières oppose Nature et Culture, le baiser s’invite dans les controverses, chacun laisse son interprétation de Voltaire à Rousseau et Sade. Si ces deux derniers s’entendent pour privilégier la Nature, celle de leurs baisers est fondamentalement différente.
Le XIX° siècle verra Proust, Flaubert, Zola, Tourgueniev, Tolstoï écrire des baisers mémorables, le début du XX° siècle aura encore de beaux baisers écrits avec Duras, Miller, Queneau, Breton, Albert Cohen… puis le cinéma et Hollywood prendront le relais. Le Code Hays, en application entre 1934 et 1954, ne laisse au cinéma qu’une seule possibilité pour exprimer les passions humaines, c’est le baiser. Et nombreux sont les couples célèbres qui auront échangés un brin de salive : Clark Gable et Vivien Leigh, Burt Lancaster et Deborah Kerr, Robert Taylor et Greta Garbo, Errol Flynn et Olivia de Havilland, Laurence Olivier et Joan Fontaine, Humphrey Bogart et Mary Astor puis Lauren Bacall, Gary Cooper et Ingrid Bergmann, John Garfield et Lana Turner, Wright King et Vivien Leigh, John Wayne et Maureen O’Hara, Gene Kelly et Debbie Reynolds, James Stewart et Grace Kelly.
Entre-temps les peintres auront aussi exploré le baiser : Klimt, Francesco Hayes, Sir Lawrence Alma-Tadema, Auguste Toulmouche, Edvard Munch (nuit d’été à Studenterlunden), Toulouse-Lautrec, Max Ernst, René Magritte (les amants)…
Viendra l’heure de gloire des psychanalystes et des philosophes de Freud, à Sandor Ferenczi en passant par Adam Philips et Plotin : n’y a-t-il pas quelque chose de l’ordre de la dévoration de l’autre dans le baiser ? Les contes nous apprennent que le baiser peut-être utilisé comme un outil d’abolition des différences et des hiérarchies entre classe… (La princesse et la grenouille !).
Au fil des époques, Alexandre Lacroix explore au cœur des arts les manifestations des baisers, la poésie et le roman dominent du XVI° au XVIII°, la peinture prend le relais au XIX° siècle, et le cinéma rend culte le baiser au XX° siècle ; quel art reste-t-il aujourd’hui pour sublimer le baiser ?
Ne reste-t-il plus que la pornographie ? Que pensent les mecs en croisant une fille dans la rue ? « J’ai envie de l’embrasser » ou « j’aimerais bien me la faire » ?
C’est un final au goût étrange, comme un baiser chargé de nicotine, une sorte de mauvaise haleine et de mauvaise blague… Et pourtant « si l’acte sexuel est un point, le baiser est une virgule. Une respiration dans la phrase. »
Quelques liens pour aller plus loin : Joël Legouzo, Too many kisses, Tobie Nathan.
Contribution à la théorie du baiser
Alexandre Lacroix, Autrement, 2011 - 15,00 €.