Si la vie est un éternel recommencement, en France, elle ressemble plutôt à disque 33 tours rayé passé en 45. Pendant que les gens qui ont encore deux sous de bon sens ne peuvent que constater l’échec à la fois cuisant et rigologène de la HADOPI sur les œuvres numériques, le gouvernement feint de ne pas le voir et lance avec le brio qu’on lui connaît une démarche similaire … dans l’agriculture. Préparez vos mouchoirs.
Avant d’étudier les nouvelles clowneries de notre assemblée, un bref retour s’impose sur l’historique de la HADOPI.
Au début des années 2000, l’arrivée sur le marché de connexions internet haut-débit à bon marché a favorisé l’émergence d’un partage de l’information entre utilisateurs. Cet échange d’information, au début essentiellement constituée de textes et parfois de logiciels, s’est étendu rapidement à la musique et, dès que les bandes passantes le permirent, aux films.
Parallèlement, l’industrie musicale, vidéo et cinématographique enregistrait d’affolant bénéfices et une croissance assez régulière de ses chiffres d’affaires. Mais elle a aussi bruyamment noté, certes, des difficultés plus grandes à écouler certaines de ses merdes productions et surtout, que le nombre d’internautes qui les recopiaient directement sans payer la dîme augmentait dangereusement sans qu’elle puisse en capter le moindre profit. L’analyse montrera ensuite que l’écrasante majorité de ces « pirates » sont en même temps des consommateurs réguliers et goulus de production musicale ou cinématographique.
Cette histoire brièvement rafraîchie, reportons-nous maintenant à l’Agriculture. Vous allez voir que c’est trop complètement différent, c’est fou.
Nous avons donc, au départ, des agriculteurs qui achètent des semences et les plantent. Une partie de ces semences est, parfois, utilisée pour être replantée. Notez que c’est une petite proportion et que ce n’est pas systématique, les rendements des semences ainsi réutilisées ayant tendance à fortement décroître. Mais, traditionnellement, ces semences qu’on appelle « de ferme » sont ainsi réutilisées.
Cela fait quelques millénaires que resemer une partie de sa récolte est inscrit dans les traditions agricoles, et même si la tradition n’est plus aussi vive, elle n’a pas disparu et continue même, calmement tolérée en France. Interviennent alors les groupes semenciers. La crise, que voulez-vous, touche tout le monde.
La suite est évidente : moyennant un peu de lobbyisme, on va pousser gentiment les députés à passer une loi qui va venir taxer tout ce beau monde et renforcer un peu les contrôles, histoire que tout le monde paye son écot. On présentera bien sûr ce nouveau prout législatif comme une magnifique avancée, permettant de lever l’incertitude juridique, et mettre un peu d’ordre dans tout ce nouveau monde de gens qui ressèment ce qu’ils ont planté comme des fous.
Et puis il ne faut pas oublier la propriété intellectuelle dans tout ça (celle sur les semences particulières, en l’occurrence).
C’est important le copyright, hein, parce que sinon les artistes de la création vont tous mourir. Et puis, les taxes récoltées vont servir à favoriser l’émergence de vrais artistes français et … Oh, je me suis un peu embrouillé entre les artistes et les semenciers, les agriculteurs, les pirates et le MP3 et tout ça.
C’est complexe, il faut dire.
Je vais plutôt faire un petit tableau, tiens, pour bien montrer que tout ceci est complètement différent :
Hem. Oui, la différence est frappante. Ah, si, oui, c’est vrai, on n’a pas encore eu droit au débarquement d’un sémillant semencier en costume blanc à rayures pour nous expliquer que si on laisse faire, l’agriculture va mourir dans d’atroces souffrances. Mais on ne désespère pas d’en arriver là.
…
En réalité, les mêmes causes produisent les mêmes effets, les mêmes imbéciles produisent les mêmes bêtises, et les mêmes recettes produiront les mêmes échecs lamentables et coûteux. Dans le registre hilarant, on ne pourra au passage pas s’empêcher de noter la récupération immédiate et contre-productive des politiciens prétendument écolos qui parlent immédiatement d’une espèce de Droit A Resemer qui n’a évidemment rien à voir dans l’histoire.
Deux choses sont ici à l’oeuvre pour permettre d’aboutir à cette situation ubuesque : tout d’abord, le principe de propriété sur des idées ou des informations, qui, en instaurant des crimes sans victimes, est, in fine, irrémédiablement ridicule et destiné à péricliter dans ce siècle, et ensuite, les mêmes manœuvres politiciennes pour augmenter les ressources de l’état et de ses petits copains.
Eh oui : l’état français n’a plus un rond, ce qui l’oblige à trouver de nouvelles taxes à un rythme stakhanoviste. Et il est aidé par des hordes d’individus assez bas de plafond dont l’imagination, on l’a vu sur les 30 dernières années, est singulièrement limitée. Pour eux, chaque problème est un clou sur lequel il faut taper avec le marteau de la loi.
Et maintenant, la question à deux euros (dépêchez-vous, dans quelques mois, deux euros, ça ne vaudra plus rien du tout) : quel sera le nom truculent de l’institution qui va être chargée de surveiller les paysans qui resèment ? HADOPA (Haute Autorité Destinée à Observer les Petits Agriculteurs) ?
Les jeux sont ouverts.