Et très haut, comme en équilibre sur le néant, la petite pièce creuse et seule, ceinte de murs extérieurs aussi ravinés que de la vieille écorce, le lieu où tout ramenait toujours, la niche, le « pigeonnier », le « nid d’aigle », la mansarde qu’on n’atteignait jamais qu’en grimpant un colimaçon vertigineux ou en empruntant un vaste et antédiluvien monte-charge métallique qui grinçait en produisant ses efforts poussifs.
L’aire, suspendue loin de tout, au fin fond d’une l’étroite passerelle de zinc, dans le silence religieux du métal chauffé au soleil, de la poussière en suspension dans l’air et de l’ardoise pentue qui tutoyait l’armée des nuages informes et lourds.
Là, à l’insu de tous, au bord du gouffre où tout pouvait très aisément basculer, se tenait la cavité dont le périmètre bizarrement octogonal faisait l’effet de s’enrouler autour du renfoncement, de l’orbite profonde où se nichait une unique demi-lucarne. Cette dernière, minuscule et défendue par un rang de barreaux, plongeait directement sur l’abîme d’espace libre et de vent où coulait la Seine.
A l’intérieur, le sol recouvert par des pans de moquette épaisse plus ou moins jetés les uns sur les autres et les cloisons penchées toutes revêtues d’une lourde couche de peinture bleu-nuit entretenaient une atmosphère de cocon, délicieusement intime et resserrée.
C’était mon univers. Mon bocal.
Ma forteresse dominant la ville.
C’était l’antre qui se refermait sur toutes mes blessures, toutes mes peines.
Le frêle esquif qui paraissait se jouer comme à la parade de l’immense brassement fluide, inhospitalier propre aux nuits d’hiver.
Le giron feutré – propice tant aux méditations qu’aux lectures – qui m’apaisait, savait –peut-être plus qu’aucun autre, jamais – me « mettre en veilleuse » lorsqu’au dehors, le staccato de la pluie d’octobre s’acharnait sur les discrètes vitres de l’œil-de-bœuf.
Ce fut, aussi, l’endroit des plaisirs, des jeux, de toutes les révélations charnelles associées à une jeunesse qui pétillait de concert avec un juin tout neuf.
Ce fut le temps d’un peu plus d’une année – mais temps qui compta double, ou triple, si ce n’est même quadruple – de ma bohème à moi, gonflée d’espoirs, d’incertitudes, de joies et de chagrins, comme une voile que le grand vent pousse et incurve au maximum.
Le temps au terme duquel, dans ce tout petit lit à une seule place coincé entre deux murs sombres à l’inclinaison maternelle, juste sous la lucarne, je finis par mettre à profit le bain de moiteur qui soude les corps pour concevoir la graine de tous les avenirs : ma première fille…
Patricia Laranco.