La symétrie saute aux yeux
dès l’abord de ce nouveau livre d’Edith Azam, amor barricade amor, symétrie du titre, symétrie de part et d’autre
de la barricade, lieu de multiples variations, pour ce qu’il convient d’interpréter
comme un théâtre-poème. En présence, lui, Julien le CRS,
gardien de la barricade, en attente de la manifestation. Elle, on ne sait qui, elle, pas de nom sauf à l’ultime
page, elle donc, de l’autre côté de la barricade, spectatrice hors du temps,
hors de la logique, hors des règles, davantage que militante encartée.
La barricade et ses multiples avatars typographiques, dans ce livre fruit
d’un très beau travail de mise en page de la part de Françoise Favretto et de l’Atelier
de l’Agneau.
Et aussi, les pigeons.
Le livre, l’action, procèdent par
saccades mais aussi glissements avec effets de fondus enchaînés, d’un personnage
à l’autre, d’un plan à l’autre (mais ce n’est pas une cinématographie pourtant).
Peu de contraste entre la logorrhée intérieure
ressassante de Julien et l’étrangeté des sensations-pensées de la fille. Le
livre joue de toutes les ressources, poésie visuelle (mais sonore aussi
certainement quand on connaît Edith Azam et qu’on l’a entendue !), typographie,
dessins, géométries, taille des polices de caractères, minuscules et capitales,
gras et maigre.
C’est une magnifique mise en espace, mise en scène de flux mentaux,
reconstitués dans leur épanchement, souvent hachés, marqués par la répétition,
la redite, avec des onomatopées, des jurons.
C’est une scénographie en ce sens
que le livre suit l’action, l’évolution, lente, des évènements, cadrant tel ou
tel détail, les lieux, la lumière, les déplacements (et ceux des pigeons en
particulier). Tout peut être
interprété ici comme métaphore mais tout aussi s’éprouve, par directs aux yeux,
au cœur, à la tête, ces tensions montantes, ces répits, ces pause qui ponctuent sans cesse le récit.
Une poésie-théâtre donc avec tension entre l’ hyper-subjectivité d’une part et
d’autre part, une forme de réalisme presque froid, celui de la barricade qui
structure le livre et qui agit comme un aimant sur les mots.
Ce livre me semble marquer un tournant dans le travail
d’Edith Azam. Car ici elle oppose, via la barricade -du solide une barricade-
une limite, quelque chose qui contient. Elle donne une armature forte à son
livre, en le construisant à partir de deux flux mentaux, la pensée ordinaire de
quelqu’un d’un peu démuni sur le plan intérieur, un flux pauvre, ressassant,
comme embrigadé, mais avec un curieux effet de feed-back très bien rendu (« j’ai
rien à dire qu’à ma tête ») et un flux « f(l)ou », éloigné de la
cohérence, de la logique.
Et en contrepoint le flux du réel, le non-flux du
ciel bleu, du décor et ce curieux flux intermédiaire des pigeons, à la fois
pensés par les protagonistes et acteurs pensants de la scène.
Participants à part entière, acteurs majeurs
au delà des fantoches porteurs de bannière, d’uniformes, de mots, de pensées,
les mots sont eux-mêmes mis en scène de part et d’autre de la barricade
matérialisée à grands traits sur la page-même.
Typographie, topographie.
Distribution.
Une belle réussite.
Edith Azam
amor barricade amor
Atelier de l’Agneau, 2008
15 €