Mesure de rétorsion après un documentaire critiquant Islamabad, le blocage de la chaîne s’inscrit dans un climat de tension avec l’Occident.
Paru dans le Figaro le 30 novembre
Par Emmanuel Derville, à Islamabad.
Depuis ce mercredi, la BBC a disparu des écrans pakistanais. L’APCOA, l’association pakistanaise qui regroupe les diffuseurs privés de télévisions par satellite, bloque les programmes de la chaîne anglaise.
En cause : la diffusion, le week-end dernier, du documentaire Secret Pakistan sur BBC News. Ce film en deux parties met en évidence le soutien que les services secrets pakistanais apportent aux talibans afghans.
«Ce documentaire critique notre armée et notre gouvernement, s’insurge Khalid Arain, le président de l’association. En interdisant la BBC, nous voulons remonter le moral de l’opinion publique. Nous allons surveiller les chaînes de télévision étrangères, en particulier Sky News, CNN et Fox News. Si elles aussi diffusent des informations anti-Pakistan, nous les bloquerons.»
L’APCOA assure agir de son propre chef, sans avoir reçu de consignes des autorités. «Nous enregistrons toutes les émissions et j’ai vu le documentaire avant de prendre cette décision», précise Khalid Arain. Peut-il citer une scène du film qui l’aurait choquée ? L’intéressé bafouille : «Euh… Ce documentaire explique que notre armée soutient les talibans afghans, en particulier le réseau Haqqani. Mais je n’ai pas d’exemple en tête.»
Une décision politique ?
Le gouvernement pakistanais confirme qu’il n’est pas à l’origine de la censure. «Cela ne vient pas de chez nous», jure un officiel du ministère de l’Information. De même, PEMRA, l’organisme public qui délivre les autorisations de diffusion, promet qu’il n’y est pour rien. Pourtant, PEMRA a été informé deux jours avant le blocage de la BBC. «On les a prévenus qu’on allait interrompre les émissions de la BBC. On leur a dit : «Si vous n’êtes pas d’accord, dites le maintenant.» Ils ne nous ont pas dissuadé», raconte Khalid Airain. Et d’ajouter : «Si l’Otan n’avait pas commis une telle bavure samedi, on n’aurait pas interdit la BBC.»
La censure dont fait l’objet la BBC illustre la rage de la population et des autorités pakistanaises, qui ne décolèrent pas après la mort de 24 de leurs soldats dans un bombardement de l’Otan près de la frontière afghane samedi dernier. Le 2 mai, le raid américains qui avait permis d’éliminer Oussama Ben Laden avait aussi été vécu comme une violation de la souveraineté pakistanaise.
Depuis quelques jours, les manifestations contre l’Otan et les Occidentaux se multiplient. Les autorités pakistanaises ont annoncé qu’elles boycotteraient leur participation à la Conférence internationale sur l’Afghanistan prévue à Bonn le 5 décembre.
De son côté, la BBC a condamné le blocage dans un communiqué. Mais elle ne l’a pas encore contesté auprès du gouvernement.
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