Kris - Maël © Futuropolis - 2011
Nous avions laissé le Lieutenant Roland Vialatte sur le front, en pleine enquête destinée à lever le voile sur les meurtres de plusieurs jeunes femmes (voir mon avis sur le tome 1 et sur le tome 2).
Les premières conclusions laissent supposer qu’il n’y a pas un assassin unique et que ceux-ci opèrent en bande. Le fait d’avoir retrouvé les cadavres des jeunes femmes dans des tranchées permet de conclure que les meurtriers sont des soldats. Les indices récoltés conduisent peu à peu Roland Vialatte vers un bataillon de jeunes repris de justice, des adolescents qui n’ont pas atteint la majorité pour la plupart.
Dans ce troisième opus – d’une série initialement annoncée comme un triptyque – nous retrouvons le Lieutenant en mai 1917, sur le front. L’enquête a-t-elle abouti ? Non. Durant les deux dernières années, Vialatte officiait dans l’Artillerie spéciale. Lassé de son poste d’investigateur, il a répondu à un appel à volontaire pour rejoindre cette nouvelle section en 1916. Jusqu’à ce jour de mai 1917 où il s’écroule, touché à la tête. Il se réveille une semaine plus tard dans un Hôpital de campagne. C’est à cet endroit que le Capitaine Janvier (voir tome 2), devenu Commandant, provoque leur rencontre et le force à reprendre l’enquête sur les meurtres des jeunes femmes.
« Vous vouliez rendre justice à ces malheureuses femmes et à ces gamins perdus ? Je vous en redonne le pouvoir ».
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Deux couleurs marquent les premières planches de cette album : celle de la terre domine sur celle du métal froid des armes et des blindés. De temps en temps, quelques cases aux teintes vivifiées par des explosions sont l’unique source de chaleur. Puis, lorsque la mort a cessé son souffle destructeur, l’humidité retombe lourdement sur ces Poilus aux corps alourdis par la pluie, la boue et encombrés par leur attirail. Le temps d’un battement de cil, la peur et la fatigue se réinstallent avant de se recroqueviller à la première alerte.
Aujourd’hui encore, je ne retiens des semaines qui suivirent qu’une sorte de long cauchemar gris et poisseux. Et lorsque j’en ai émergé, je n’étais… oui… plus qu’une ombre de vie, une silhouette vide… un promeneur des rivages, ceux d’entre les vivants et les morts, et qui ne sait plus de quel côté exactement il marche…
lira-t-on plus loin dans l’album. Je trouve que cette phrase illustre tout à fait la tonalité de ce troisième opus de Notre Mère la guerre. Comme par magie, le trait de Maël parvient à nous replonger sans transition dans l’ambiance du tome précédent et, non content de cette prouesse, il nous fait en plus ressentir l’émulation qui les anime et leur permet de s’extirper in extremis de la mort. Puis soudain, au détour d’une page, on est extrait des horreurs de la guerre le temps d’une courte convalescence, avant d’y replonger sous un autre angle : celui de l’Occupation vue sous le regard des Civils. Ainsi, les illustrations de Maël rendent compte des ravages que la guerre laisse derrière elle : campagnes dévastées, fosses communes pour éviter les épidémies… L’enquête du Lieutenant Vialatte nous ramène ensuite en plein Paris et le retour à « la vie » urbaine tout en contraste avec le quotidien des tranchées. Paris où la vie se poursuit, Paris où l’on regarde de travers la dégaine crasseuse des Poilus qui entretient des plaies affectives béantes dues au départ d’un amant ou d’un proche pour le front qui ne reviendra peut-être jamais.
Ce contraste entre la vie de soldat et la vie civile, Kris le matérialise comme une douleur des soldats qui cherchent en vain une raison de poursuivre le combat face à l’ignorance et au rejet avec lesquels on les accueillent. Les textes du scénariste sont superbes, profonds, mélancoliques, comme en témoigne cet extrait :
« Il se battra encore parce qu’il ne sait plus faire que ça, parce qu’il en a déjà trop fait et trop vu, et qu’il lui serait insupportable que ce fût en vain. Et malgré l’envie ou le désir qui le tenaille, il ne pourrait plus rejoindre cet autre pays qu’il découvre par la fenêtre, qui ne sait rien de la guerre et qui semble vivre sur une autre planète. Ce pays qui l’admire, le romantise mais le repousse de peur que ses brodequins amochent les bottines à la mode, que ses effets sales et rapiécés maculent de boue les uniformes d’opérette que trimballent sur les boulevards des mannequins vivants mais vides. Oui, Desloches a raison : les soldats auront beaucoup de choses à dire après la guerre. Mais j’ai bien peur qu’on ne les écoute pas, ou pire, qu’on les écoute mal. Alors, entraîné par ces silences, le soldat se taira lui aussi. Ou pire. Il racontera mal, ouvrant la porte aux renoncements, préparant les futurs recommencements.
J’étais réservée à la lecture du tome 1, encore mesurée au sortir du tome 2, je suis conquise par la lecture de ce nouveau volet qui, contre toute attente, ne clôt pas la série. C’est au tome 4, intitulé Requiem, qu’incombera cette lourde tâche.
Pour l’heure, cet album bénéficie d’une narration d’une grande qualité et que le trait du dessinateur sert à merveille.
Un autre avis chez OliV !!
Extraits :
« Cette saloperie de doute qui ronge et vous grignote le cerveau plus surement que les vers d’un cadavre » (Notre mère la guerre, Troisième complainte).
« Le problème, c’est que depuis qu’on est arrivés, ben, même ii voyez : je ne suis plus chez moi. C’est terrible à dire, mais je crois que je ne sais plus vivre en dehors de la guerre » (Notre mère la guerre, Troisième complainte).
Notre mère la Guerre
Tome 3 : Troisième complainte
Série de 4 tomes en cours
Éditeur : Futuropolis
Dessinateur : MAËL
Scénariste : KRIS
Dépôt légal : novembre 2011
Bulles bulles bulles…
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